Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/722

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
718
REVUE DES DEUX MONDES.

une fille ! ce serait une grande sottise. — D’accord, mais cette fille trahit un honnête homme, c’est une grande scélératesse. — Soit ; mais quand vous seriez pendu, en seriez-vous plus gras ? — Non, certes, et j’en deviendrai même beaucoup plus maigre. — Alors, pourquoi vous pendre ? — Parce que je le veux. — Vous ne vous pendrez pas. — Je me pendrai. — Je vous assure que non. — Je vous jure que oui. — Vous ne vous pendrez pas, vous dis-je. — Attends, drôle, je saurai bien me délivrer de ton importunité. (Il tire sa batte, s’en donne de grands coups sur le dos, et se met à courir.) Ah ! voilà notre raisonneur parti ; maintenant, allons nous pendre. (Il fait quelques pas, et s’arrête tout court.) Mais non, se pendre, c’est bien commun, cela ne me ferait pas honneur : cherchons quelque mort extraordinaire, héroïque, quelque mort digne d’Arlequin. »

Il essaie tour à tour divers genres de mort, soit en retenant sa respiration, soit en se tenant les jambes en l’air, et la tête en bas ; mais il ne peut réussir : il a beau se boucher le nez et fermer la bouche, il ne vient pas à bout de mourir. — Il faut que le vent s’échappe par quelque issue. — Imbécille que je suis ! Ah ! j’ai trouvé ! — Et il indique par une pantomime expressive quelle peut être cette issue. Il se tourne alors vers le parterre, qui rit aux éclats.

— Vous riez, vous autres : hé bien ! je parie que vous n’êtes pas plus malins que moi, et qu’il n’y a pas un seul d’entre vous qui voulût me servir de modèle et me montrer, par son exemple, comment je dois m’y prendre pour mourir ? Mais votre gaîté me donne une idée : j’ai lu dans les histoires que des hommes étaient morts à force de rire ; si je pouvais mourir en riant ; essayons, ce serait drôle. Comme je ne suis guère joyeux, je vais me chatouiller : de cette façon je serai bien obligé de rire.

Il se chatouille en effet, tombe à terre en riant aux éclats et faisant mille folies et mille tours d’adresse ; il est sur le point de se pâmer, quand un ami arrive, le console et l’emmène. C’est à la suite de ces tentatives de suicide qu’il se fait passer d’abord pour un envoyé de l’empereur de la lune, puis pour l’empereur lui-même, et qu’enfin il épouse la servante du Docteur, auquel il escroque sa belle bague ornée d’un brillant et six pièces d’or, lui donnant en revanche la place du scorpion dans le zodiaque.

Sous toutes ces bouffonneries, on retrouve encore, comme il est aisé de le voir, la lutte du matérialisme et de l’intelligence, du corps et de l’esprit ; c’est l’esprit qui, dans le monologue comique d’Arlequin résolu à se pendre, bâtonne le corps, et cependant c’est le corps