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reste, le jour où ils le voudront sérieusement, et en vérité ils seraient inexcusables de ne pas le vouloir dès aujourd’hui.

Reste un obstacle, un seul : c’est Espartero. Encore n’est-il pas bien sûr que ce soit véritablement un obstacle. Le généralissime a dû faire beaucoup de réflexions depuis son incartade de Barcelone. Son attitude montre qu’il s’est repenti, bien qu’il ne veuille pas en convenir. On parle beaucoup moins depuis quelque temps du fameux Linage. Le bruit s’était même répandu qu’il avait été nommé à un commandement qui l’éloignait du quartier-général. Ce bruit n’a pas été confirmé officiellement ; mais qu’il soit fondé ou non, il n’est pas moins l’indice d’une situation nouvelle pour lui. Son ascendant paraît avoir baissé ; celui de la duchesse de la Victoire s’est accru. Il se pourrait à la rigueur qu’Espartero rentrât dans le devoir et reprît le rôle qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Disons pourtant avec franchise que nous ne l’espérons pas. Il ne faut pas se faire illusion. Il y aura toujours chez Espartero un terrible argument contre la soumission, c’est l’orgueil. Des adresses de municipalités lui arrivent encore de tous les côtés ; le cri de vive Espartero ! retentit encore sur bien des points plus haut que le cri de vive la reine ! Bientôt va arriver l’anniversaire de la convention de Bergara. Les couronnes d’or vont pleuvoir à son quartier-général. Bien qu’il ait trompé toutes les espérances des exaltés, ils ne cesseront pas de l’entourer, car il est leur dernier espoir. Les commissaires anglais se multiplient depuis quelque temps autour de lui[1]. Il s’entendra dire tous les jours par sa camarilla, car c’est là qu’est vraiment la camarilla aujourd’hui, qu’il est le plus grand homme et le plus méconnu du siècle, et que, s’il le voulait, il serait le maître de l’Espagne. Rien ne sera épargné en même temps pour lui rendre plus amères les attaques dont il va être l’objet, et pour lui grossir les mesures qui seront infailliblement prises pour diminuer le pouvoir dont il jouit.

Il faudrait être doué d’une bien grande vertu pour résister à de pareilles suggestions incessamment renouvelées. On doit d’ailleurs s’attendre, pourquoi ne le dirions-nous pas ? à peu d’efforts du côté de la reine pour ramener Espartero. La reine a dit au généralissime, en partant de Barcelone, qu’elle ne gardait pas de rancune de la jarana (échauffourée) du 19 juillet ; mais est-il possible qu’elle n’en conserve pas au contraire un vif ressentiment ? Elle a dû être d’autant plus offensée de la conduite du comte-duc, qu’elle avait plus

  1. Le colonel Wylde vient de lui apporter le grand cordon de l’ordre du Bain.