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REVUE. — CHRONIQUE.
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nement indéfini le retrait de la proposition de M. de Tocqueville devant la promesse d’un acte effectif de la part du ministère. Cette réserve excessive de M. le gouverneur de la Guadeloupe était d’autant moins de circonstance, que les deux délégués de cette colonie, MM. de Jabrun et Janvier, ont pris à l’égard de leurs commettans une position de franchise et de sage avertissement, où tous les amis sérieux et sincères de la cause coloniale doivent s’efforcer de prendre leur part de solidarité.

Les colonies sont représentées légalement auprès de la métropole par un conseil de délégués. Le premier acte de la commission a été d’appeler le conseil des délégués à conférer avec elle. Le croirait-on ? Le conseil des délégués a refusé de se rendre à l’invitation qui lui a été adressée, motivant son refus sur ce qu’il n’avait point mandat de s’expliquer. Qu’est-ce donc que le mandat de délégué, s’il ne permet pas de se présenter devant une commission nommée par le gouvernement du roi ? Et sur quoi le conseil des délégués peut-il émettre son avis, s’il a la bouche close quant à l’esclavage et à la constitution politique des colonies ? Depuis quelques années le conseil des délégués a beaucoup parlé et beaucoup écrit ; il a toujours écrit, il a toujours parlé des mêmes choses sur lesquelles il allègue aujourd’hui son incompétence. Si encore il avait refusé de se rendre devant la commission de la chambre des députés, ce n’aurait pas été assurément une conduite habile, mais elle pouvait s’expliquer. Eh bien ! c’est précisément le contraire qui a eu lieu. Le même conseil, composé des mêmes hommes, s’est rendu devant la commission de la chambre des députés, et s’est abstenu devant la commission du gouvernement. La première démarche avait été sans doute désapprouvée par quelques exaltés. Le conseil a saisi l’occasion de faire amende honorable. Il est impossible de pousser plus loin la haine et la pratique du mandat impératif. Ce qu’il y a de pire, c’est que le mandat impératif est aussi un mandat salarié. Une pareille position est le renversement de toutes les idées admises sur le caractère de la représentation politique. Quelques publicistes ont pu penser que l’exercice du mandat législatif devait donner lieu à une indemnité ou même à une rétribution : dans cette hypothèse, l’indemnité ou la rétribution serait payée par l’état ; mais personne ne s’est encore avisé de demander que la rétribution fût payée directement par les colléges électoraux. C’est ce qui arrive cependant pour la délégation coloniale. Cette circonstance a privé le conseil des délégués de toute influence politique.

Il est à présumer que cette anomalie disparaîtra, et qu’une des premières réformes demandées par la commission sera la représentation directe des colonies dans les deux chambres. La nécessité a conduit les colonies anglaises à reconnaître que c’était la véritable garantie des possessions d’outre-mer contre l’oppression ou la négligence de la métropole. La France commencera par où l’Angleterre va finir. Il y a dans cette mesure, qui de prime-abord ne paraît pas très grave parce qu’elle se rapporte à des possessions d’importance secondaire, tout l’avenir du système colonial tel que le réclame l’état nouveau des lumières et de l’industrie. Si les métropoles n’opprimaient pas les colonies, elles ne songeraient pas à s’émanciper lorsqu’elles deviennent puissantes. Les