Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
COLOMBA.

— C’est inutile. Il faut leur envoyer quelqu’un pour les prévenir et les arrêter avant qu’ils se mettent en route.

— Oui ? vous voulez envoyer un messager par le temps qu’il fait, pour qu’un torrent l’emporte avec votre lettre. Que je plains les pauvres bandits par cet orage ! Heureusement ils ont de bons piloni[1]. Savez-vous ce qu’il faut faire, Orso. Si l’orage cesse, partez demain de très bonne heure, et arrivez chez notre parente avant que vos amis se soient mis en route. Cela vous sera facile, miss Lydia se lève toujours tard. Vous leur conterez ce qui s’est passé chez nous, et s’ils persistent à venir, nous aurons grand plaisir à les recevoir. Orso se hâta de donner son assentiment à ce projet, et Colomba, après quelques momens de silence :

— Vous croyez peut-être, Orso, reprit-elle, que je plaisantais lorsque je vous parlais d’un assaut contre la maison Barricini ? Savez-vous que nous sommes en force, deux contre un au moins. Depuis que le préfet a suspendu le maire, tous les hommes d’ici sont pour nous. Nous pourrions les hacher. Il serait facile d’entamer l’affaire. Si vous le vouliez, j’irais à la fontaine, je me moquerais de leurs femmes ; ils sortiraient… Peut-être… car ils sont si lâches, peut-être ils tireraient sur moi par leurs archere ; ils me manqueraient. Tout est dit alors. Ce sont eux qui attaquent. Tant pis pour les vaincus. Dans une bagarre où trouver ceux qui ont fait un coup ? Croyez-en votre sœur, Orso. Les robes noires qui vont venir saliront du papier, diront bien des mots inutiles. Il n’en résultera rien. Le vieux renard trouverait moyen de leur faire voir des étoiles en plein midi. Ah ! si le préfet ne s’était pas mis devant Vincentello, il y en avait un de moins.

Tout cela était dit avec le même sang-froid qu’elle mettait l’instant d’avant à parler des préparatifs du bruccio.

Orso, stupéfait, regardait sa sœur avec une admiration mêlée de crainte.

— Ma douce Colomba, dit-il en se levant de table, tu es, je le crains, le diable en personne ; mais sois tranquille. Si je ne parviens à faire pendre les Barricini, je trouverai moyen d’en venir à bout d’une autre manière. Balle chaude ou fer froid ! Tu vois que je n’ai pas oublié le corse.

— Le plus tôt serait le mieux, dit Colomba en soupirant. Quel cheval monterez-vous demain, Ors’ Anton’ ?

— Le noir. Pourquoi me demandes-tu cela ?

  1. Manteau de drap très épais garni d’un capuchon.