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sur des dressoirs où d’habiles écuyers tranchans la découpaient. Une heure plus tôt, j’aurais volontiers goûté de ces viandes, qui semblaient fort appétissantes ; mais j’étais encore si plein de l’odeur d’huile de ricin, que chaque chose m’en paraissait imprégnée et que j’avais de la répugnance pour tout.

Je me remis donc avec résignation à regarder les petits Nankinois, qui commençaient une danse nouvelle. L’un portait en bandoulière un tambour en forme de deux troncs de cônes réunis par le sommet, couvert d’une peau de serpent et orné de glands très longs en soie rouge. Il en jouait avec deux petites baguettes, frappant avec beaucoup de grace et d’habileté tantôt sur une seule face, tantôt sur les deux en même temps. L’autre portait un gong dont les éclatantes vibrations faisaient, avec le tambour, une musique vraiment tartare. C’étaient alternativement des danses accompagnées de chants plus vifs que ceux que nous avions déjà entendus, puis la musique ou la danse seulement.

Les jongleurs vinrent à leur tour, et avec eux aussi un découragement si fort, une envie de dormir si générale, que tous les convives, surtout ceux qui avaient fait honneur au dîner, fermaient à chaque instant les yeux, malgré les efforts évidens qu’ils faisaient pour rester éveillés. C’est dans un de ces momens probablement que M. Prinsep et T… avalèrent une espèce d’amandes fort proprement servies, qu’ils prirent pour des pralines, mais qui étaient en réalité de belles et bonnes gousses d’ail cru, bien nettes et bien pelées : il fallait voir leurs grimaces et leurs contorsions !

Après avoir vu passer je ne sais quelle quantité de plats, après avoir goûté du dîner de famille que l’on sert toujours dans ces grands galas à la fin, comme par contraste, on en vint à faire circuler des jattes de riz à l’eau avec lequel les amateurs complétèrent la plus horrible cargaison que jamais estomac d’homme ait embarquée, et en dernière analyse on but le thé pour délayer tout cela, si c’était possible. Alors ce fut déclaré fini, irrévocablement fini. Au fait, le supplice n’avait guère duré que six heures !

Le camcha ou présent fut apporté en grande pompe par deux domestiques aux jongleurs et aux jeunes danseurs. C’était une somme de treize ou quatorze gourdes en sapecks, espèce de monnaie de zinc enfilée sur des cordons. Il y a, je crois, huit cents sapecks dans une gourde : tout cela était étalé sur une grande planche.

Avant de partir, on nous invita à nous approcher de l’extrémité vitrée de l’appartement qui donnait sur la cour : c’était pour voir