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JOURNAL D’UN OFFICIER DE MARINE.

au plus pénible, au plus dangereux apostolat. Oh ! c’est une horrible chose que de voir ainsi les talens et la jeunesse aller au-devant des bourreaux ! Mon cœur était profondément ému à l’aspect de cette joie et de ce festin, le dernier de ce genre auquel devaient assister tous les missionnaires présens, à l’exception peut-être de M. Legrégeois et de M. Torrette, obligés tous deux de rester à Macao pour diriger les missions.

Le lendemain, au point du jour, nous nous levâmes pour aller visiter les belles pagodes des marins chinois. Nous y trouvâmes M. Prinsep ; il était déjà en train de dessiner. M. Borgès suivit son exemple ; Durand et moi, nous montâmes parmi les blocs de rochers taillés que l’on a trouvé moyen de faire servir à la construction de temples charmans. Le plus beau de ces temples est sur le bord de la mer, et adossé à la montagne ; des arbres magnifiques ombragent, par une exception extraordinaire, ce monument de la piété des marins ; on ne peut rien voir de plus pittoresque comme ensemble, et les détails sont d’un travail exquis. J’aurais voulu dessiner ce temple, mais j’avais à peine le temps de regarder.

Nous prîmes un des sentiers nombreux conduisant aux petits temples qui s’élèvent en étages au-dessus du premier ; il a fallu certainement toute la patience et tout le talent des Chinois pour tirer ainsi parti d’une montagne aride qui n’est réellement qu’un seul rocher formé de plusieurs blocs amoncelés.

Chaque pagode était soigneusement balayée ; la lampe, constamment allumée devant l’image du dieu, annonçait la place où il fallait venir brûler les petits bâtons ou les artifices qui servent d’encens, et nous ne fûmes pas long-temps sans voir arriver des dévots qui se mirent tranquillement à genoux comme si nous n’eussions pas été là, se prosternant par momens et faisant leur offrande à la divinité avec toute la piété possible.

Enfin, séduit par le toit délicat et les jolis ornemens du plus haut de ces temples, j’avais tiré mon album et je commençais à en faire une esquisse, lorsque les cris de tous ces messieurs restés en bas nous forcèrent de laisser un des plus jolis sites que j’aie vus. Nous nous hâtâmes, car il était temps d’aller déjeuner chez M. Chinery. Lui aussi venait de faire sa petite course d’artiste ; il n’y manque jamais, ajoutant ainsi tous les jours quelques croquis à cette belle collection de dessins qu’il possède. Il nous avait promis la veille de faire une gouache devant nous, et il se mit à l’œuvre en quittant la table. En un quart-d’heure, nous vîmes sortir de son habile pinceau