Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
REVUE DES DEUX MONDES.

étaient considérés par lui comme des traîtres à la cause de la patrie. Mais les intérêts de l’Autriche et de la Prusse ne se conciliaient pas plus que ceux des princes de la confédération du Rhin avec l’unité de l’Allemagne sous un chef ; les grandes puissances comme celles du second ordre se fatiguèrent promptement des réclamations d’un parti auquel on ne pouvait pas interdire une certaine liberté de langage, et qu’on trouvait d’autant plus gênant qu’on s’était plus compromis avec lui lorsqu’on avait eu besoin de ses services. Il y eut donc un concert entre les gouvernemens pour l’étouffer, si faire se pouvait, et au moins pour le réduire au silence. Ce parti ne tarda pas du reste à s’affaiblir et à se décomposer : ses membres les plus importans, découragés par la manière dont leurs espérances avaient été trompées, suivirent d’autres directions et se rallièrent à d’autres intérêts. Il cessa donc assez promptement d’exister comme parti sérieux et organisé ; mais son esprit continua à régner parmi la jeunesse et dans les universités, où l’on se faisait un devoir de porter ce qu’on appelait l’ancien costume allemand[1], où l’on s’exerçait avec ardeur à la gymnastique pour acquérir la vigueur et l’agilité des compagnons d’Arminius, et où l’on se nourrissait de rêves de toute espèce sur la régénération de l’Allemagne et la reconstitution future de l’unité nationale.

Pendant ce temps, il se formait en Allemagne un autre parti, assez semblable à celui qui s’organisait en France contre la royauté des Bourbons. Celui-là avait principalement pour siége les anciens états de la confédération du Rhin, où l’influence de l’illuminisme, les rapports intimes et prolongés avec la France, et la guerre faite par les gouvernemens aux anciennes idées, sous prétexte d’éclairer les peuples, lui avaient dès long-temps préparé les voies. Il ne professait pas, comme le parti patriote, le culte du moyen-âge et des vieilles institutions germaniques ; il se rattachait au contraire au rationalisme philosophique et politique de la fin du XVIIIe siècle, et adoptait plus ou moins explicitement le principe de la souveraineté du peuple. Ce fut lui qui s’efforça de tirer parti des nouvelles constitutions et de les développer, autant que possible, dans un sens démocratique. Il ne se distingua d’ailleurs par aucun caractère spécial du reste du libéralisme européen de cette époque. Quelques patriotes de 1813 s’y ral-

  1. L’étudiant allemand de cette époque se reconnaissait facilement à sa petite redingote noire, à sa toque noire, à son cou nu avec un grand col de chemise rabattu, et à ses longs cheveux flottans sur les épaules. C’était Jahn qui avait mis ce costume à la mode, comme étant le vrai costume germanique.