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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

maréchal, qui se trouvait à Tivoli, dépêcha donc sur-le-champ un exprès pour recommander aux Polésans de s’y porter sans retard, afin que les brigands ne pussent échapper.

« Cet ordre arriva dans la soirée ; presque tous les hommes de Poli étaient à Palestrine, où ils s’étaient rendus en armes pour vendre leurs bestiaux et se divertir. On fit donc un choix parmi les vieillards et les enfans qu’on réunit dans la rue ; les femmes, portant des lanternes à la main, s’étaient rassemblées autour d’eux ; elles couraient de côté et d’autre, demandant à grands cris que leurs enfans ou leurs maris ne fissent point partie de cette expédition, les brigands pouvant profiter de leur absence pour attaquer la ville. Les familles qui avaient des armes refusaient de les livrer. Les magistrats et l’officier, pour mettre fin à de pareils débats, forcèrent les portes de quelques maisons pour y prendre les armes qui s’y trouvaient ; mais ces armes étaient si bien cachées, que cette mesure énergique fut sans résultat. Voyant qu’il était impossible d’armer le petit nombre d’hommes qu’on avait réunis, on décida qu’on attendrait jusqu’au lendemain, c’est-à-dire jusqu’au retour de ceux qui étaient allés à Palestrine. Le spectacle qu’offrait la rue où ces discussions avaient lieu était aussi nouveau pour les habitans de Poli que pour nous autres étrangers. Les gens armés et ceux qui n’avaient pas d’armes, les volontaires et les récalcitrans, criaient tous ensemble ; les femmes, tenant d’une main leurs enfans, de l’autre leurs lanternes, couraient comme des insensées, tantôt calmant, tantôt excitant les disputes. Ceux qui avaient été à Palestrine revenaient par petits groupes, les poches pleines de noisettes, chargés de marchandises de toute espèce, et la plupart tout-à-fait ivres. Enfin, un seul cri dominait au milieu de ce terrible pêle-mêle : les brigands approchaient ! la nuit même la ville serait attaquée ! et il ne venait à l’idée de personne que pendant ce temps les bandits avaient tout le loisir de s’en aller par le chemin qui leur conviendrait le mieux. Ainsi se passa la nuit du 18 août dans la bourgade de Poli[1]. »

Conçoit-on une pareille confusion, et cela six jours après l’arrivée des brigands, quand à la place de ces milices peureuses et mal armées le gouvernement aurait déjà pu rassembler plusieurs milliers de soldats dans ces districts voisins de Rome, cerner ces bandes, et ne pas laisser échapper un seul des individus qui les composaient ? Qu’on

  1. Mrs Graham, chap. VII.