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REVUE. — CHRONIQUE.

laisse à son aise brûler des bicoques, canonner des hôpitaux, tuer des vieillards et des femmes ? Rentrera-t-on paisiblement dans ses ports en remettant à l’année prochaine le châtiment du rebelle ? Nous le voulons bien ; mais l’Europe, bien qu’elle ait renoncé depuis long-temps à la grosse et franche gaieté de nos pères, garderait difficilement son sérieux. — Ce revers, dira-t-on, n’est pas à craindre. — Ce n’est pas là une réponse d’homme d’état. Il suffit que la résistance opiniâtre et efficace du pacha soit possible et jusqu’à un certain point probable. Qui pourrait affirmer qu’elle ne l’est pas ? Dès-lors on a dû la prévoir, la calculer, et se demander ce qu’on ferait si elle venait à se réaliser. La réponse n’est pas douteuse. À moins d’avoir perdu le sens, d’avoir renoncé à toute dignité, par cela seul qu’on a commencé précipitamment une attaque de cette nature, on avait résolu de n’épargner, le cas échéant, aucun moyen de violence : débarquement de troupes, marche d’une armée russe, occupation de villes fortes et de provinces turques ; tout était nécessairement prévu et décidé, parce que nul ne pouvait, en commençant, avoir la certitude que Méhémet-Ali ne résisterait pas avec énergie, qu’il s’arrêterait devant telle ou telle démonstration militaire.

Le gouvernement français avait donc parfaitement raison lorsqu’il disait aux signataires du traité de Londres : « Même sans entrer dans le fond de la question, une résolution de cette nature ne saurait être approuvée par les amis sincères de la paix, car pour la mettre à exécution, vous ne pouvez employer que des moyens inefficaces ou dangereux. » Inefficaces ! Encore une fois, ce serait pour les alliés se couvrir de ridicule. On est donc fondé à croire qu’ils étaient décidés à l’emploi de moyens dangereux, de moyens qui pourraient compromettre l’équilibre européen, la paix du monde.

C’est là une conséquence forcée de leurs délibérations. Le jour où notre gouvernement a connu l’existence du traité de Londres, ce jour même il a dû apercevoir cette conséquence et préparer le pays aux grands évènemens qui pouvaient en résulter.

Cependant, pour les nations comme pour les individus, il y a toujours un intervalle entre le projet et l’exécution, entre la résolution et le fait. Malgré les clauses menaçantes du traité de Londres et de ses annexes, clauses qui donnaient à craindre des conventions secrètes plus exorbitantes encore, le gouvernement français pouvait faire aux alliés l’honneur de croire qu’en songeant aux dangers incalculables que leurs étranges conventions allaient faire naître, ils ne passeraient pas légèrement de la menace à l’exécution, ou que du moins les faits coercitifs ne seraient pas de nature à provoquer, de la part du vice-roi, une résistance qui devînt à son tour agressive et engageât l’amour-propre des alliés dans une guerre à outrance. Si on s’était borné à une interruption des communications maritimes entre l’Égypte et la Syrie, à une sorte de blocus militaire, tôt ou tard cette situation, fâcheuse pour tout le monde, et en particulier pour Méhémet-Ali, aurait donné lieu à des pourparlers, à des expédiens, à des concessions, qui auraient pu rapprocher toutes les puissances et raffermir pour long-temps encore la paix générale. En cet