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REVUE. — CHRONIQUE.

à Paris ; et, en effet, il est venu, on en a causé, et beaucoup ; puis il est reparti sans rien promettre, et surtout sans rien laisser. Une preuve que cette partition ne sera point donnée cet hiver, c’est qu’en admettant même que l’illustre maître consentît à la livrer, le théâtre ne se trouverait pas en mesure de l’exécuter. Nous ne supposons pas que M. Meyerbeer destine son rôle à Mme Stoltz ; or, s’il avait eu la moindre envie d’être représenté cet hiver, il aurait nécessairement indiqué à l’administration une cantatrice qu’on se serait empressé d’avoir. M. Meyerbeer ne l’a point fait, de peur de s’engager ; M. Meyerbeer veut voir venir ; par le temps qui court, c’est ce que chacun a de mieux à faire. Au printemps, on en reparlera ; alors M. Meyerbeer partira pour les eaux, et promènera durant six mois sa partition d’Ems à Marienbad, de Kissingen à Spa. En attendant, nous aurons plusieurs opéras de M. Halévy, de M. Thomas ; nous en aurons même un de M. Berlioz, en cinq actes encore !

La partition de la Reine Jeanne, que l’Opéra-Comique a représentée ces jours derniers, ne nous semble faite ni pour enrichir le théâtre, ni pour augmenter de beaucoup la renommée de M. Monpou, dont on cite çà et là plus d’une composition intéressante. La Reine Jeanne variera peut-être assez agréablement le répertoire ; c’est là tout ce qu’en en peut dire. Les musiciens (car il s’agit encore, comme dans l’Opéra à la Cour, d’une collaboration musicale), les musiciens se sont conformés à la mesure de leurs poètes ; les airs et les duos valent les situations où ils se rencontrent. On ne conçoit guère qu’on se mette à deux pour écrire de semblables chefs-d’œuvre. Voici un expédient dont à coup sûr ni Mozart, ni Cimarosa, ni Rossini, ne s’étaient jamais doutés. On fait de nos jours de l’orchestre et de la mélodie en collaboration : c’est le procédé du vaudeville appliqué à l’opéra. Pendant que les poètes élaborent leur drame, les musiciens chauffent leur cerveau ; on se partage la besogne, l’un prend le premier acte, l’autre le second, et de la sorte les choses vont bon train. Vous pensez peut-être qu’une grande confusion de style doit résulter d’un pareil accouplement ? Non certes ; s’il s’agissait de Gluck s’associant à Cimarosa, ou de Weber travaillant avec Rossini, à la bonne heure ! il pourrait y avoir confusion ; mais, en fait de métier, toutes les inspirations se ressemblent, la muse de M. Grisar donne la main à la muse de M. Bordèze, et c’est à peine si on s’aperçoit des jointures, tant ces sortes de productions trouvent d’harmonie dans leur médiocrité même.

L’Opéra-Comique a souffert tout l’été du malaise général qui tourmente les théâtres. Le retour de Mme Damoreau va mettre sans doute fin à cette crise. Déjà la cantatrice a reparu dans ses deux jolis rôles d’Henriette et d’Angèle, et sa voix, toujours agile et sûre, mais que de longues fatigues avaient altérée, semble avoir puisé dans un repos de trois mois une fraîcheur, une sonorité nouvelles. Avec les ménagemens dont Mme Damoreau sait user à l’égard de son talent si délicat et si fragile, avec les prodigieuses ressources de vocalisation dont elle seule dispose aujourd’hui chez nous, elle pourra long-temps