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vue de leurs drames. Les romances, d’ailleurs assez peu nombreuses, où figure le roi don Pèdre, sont loin de lui être favorables. Elles roulent presque exclusivement sur les actes les plus odieux que lui impute l’histoire, et qui ne sont pas tous également démontrés, sur l’assassinat de son frère le grand-maître, sur le meurtre de sa malheureuse femme, Blanche de Bourbon, sur celui du roi maure qui était venu chercher un asile auprès de lui, et qu’il fit égorger pour s’emparer de ses trésors. Une seule de ces romances, conçue dans une autre pensée, indique, bien qu’avec quelque timidité, que l’opinion qui jugeait si sévèrement ce monarque malheureux, avait trouvé des contradicteurs.

Nous citerons quelques passages de ce petit poème, dont le sujet est la mort de don Pèdre, égorgé par son frère et son successeur, Henri de Trastamare, au moment où il cherchait à s’échapper d’une place où Duguesclin, l’auxiliaire de Henri, le tenait assiégé après l’avoir vaincu.

« Le roi don Pèdre est étendu mort aux pieds de don Henri, moins par la vaillance de son ennemi, que par la volonté du ciel. Don Henri a remis son poignard dans le fourreau, et de son pied il presse la gorge de son frère. Même en ce moment il ne se croit pas encore en sûreté contre son invincible adversaire. Les deux frères ont lutté, et ils ont lutté de telle sorte, que celui qui n’existe plus eût été un Caïn à défaut de celui qui a survécu. Les armées, émues de compassion et de joie, accourent mêlées l’une à l’autre, pour contempler ce grand évènement.

« Et ceux de Henri chantent, font retentir leurs instrumens, crient vive Henri, et ceux de don Pèdre, poussant des lamentations et des cris redoublés, pleurent la mort de leur roi.

« Les uns disent que c’est un acte de justice, les autres que c’est un crime, qu’on ne doit pas accuser un roi d’être cruel, lorsque les temps sont tels que la cruauté devient nécessaire ; qu’il n’est pas raisonnable que la multitude entre en compte avec son souverain pour juger s’il a bien ou mal fait dans d’aussi graves circonstances, que les erreurs de l’amour proviennent d’une trop belle cause pour ne pas être excusées, et qu’en voyant les yeux de la belle Padilla, personne ne se refusera à reconnaître la sagesse du prince, qui n’a pas pour elle, comme un autre Rodrigue, mis le feu à son royaume.

« Ceux qui, ayant appartenu au parti vaincu, ont l’ame assez vile pour suivre aussitôt le vainqueur par peur ou par flatterie, célèbrent la vaillance de Henri, et appellent don Pèdre un tyran. Hélas ! l’amitié et la justice meurent toujours avec celui qui succombe. La fin tragique du grand-maître, celle de ce tendre enfant, la captivité de la malheureuse Blanche, voilà les souvenirs qu’on évoque pour condamner sa mémoire. À peine un petit nombre d’amis fidèles osent-ils élever leurs voix vers le ciel pour demander justice.

« La belle Padilla pleure la triste catastrophe qui fait d’elle l’esclave du roi vivant et la veuve du mort. « Ah ! don Pèdre, dit-elle, ce sont de perfides conseils, c’est une confiance trompeuse, c’est ton hardi courage, qui t’ont conduit à cette mort infame ! etc., etc. »

Cette romance, dont nous aurions vainement essayé de rendre le mouvement