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tour du salon d’un air embarrassé, il tira M. Moreau par la manche de son habit.

— Monsieur, lui dit-il en hésitant, je ne pense pas que Mme Moreau, qui est la bonté même, ait envie de se moquer d’un homme qui lui est tout dévoué. Ce n’est d’ailleurs qu’une plaisanterie fort innocente…

— Qu’avez-vous, mon cher ami ? répondit l’architecte du roi ; je ne vous comprends pas.

— C’est, reprit l’abbé, que je n’ai en effet qu’une chemise, et qu’encore elle est à la lessive, comme dans la chanson.

— Soyez assuré, dit M. Moreau, que ma femme n’y entendait pas malice, et qu’elle ne sait pas si vous manquez de chemises. Votre veste est boutonnée jusqu’au rabat, et, pour ma part, je vous trouve fort bien vêtu. Cependant je dirai à ma femme de prendre garde une autre fois à ce qu’elle chantera.

L’abbé pressa la main de M. Moreau, et s’en alla chez le directeur de l’Opéra. Il le trouva en conférence avec Mlle Doligny de la Comédie-Française, qui venait solliciter un spectacle à son profit. Cette jeune actrice, qui jouait admirablement les ingénues, était fort aimée du public ; mais la jalousie de ses camarades lui donnait beaucoup de soucis, comme il arrive souvent aux gens de talent. On lui enlevait ses rôles sous le prétexte qu’elle avait au-dessus d’elle des chefs d’emploi. Dans la soirée à son bénéfice, ses amis voulaient qu’elle jouât, sur la scène de l’Académie, la pastorale d’Endymion de feu Fontenelle. M. Berton élevait des difficultés ; cependant il céda enfin, grâce aux instances de Cordier, qui pria en faveur de Mlle Doligny. Sans être fort jolie, cette jeune actrice avait une figure intéressante, un son de voix qui allait au cœur, de la gaieté, quelque chose dans les manières qui charmait à première vue. Cette aimable fille remercia Cordier d’avoir intercédé pour elle, et y mit tant de grace, que l’abbé en devint tout rouge de plaisir. Mlle Doligny savait par les bruits de coulisses qu’il était homme de bon conseil, et comme elle avait besoin d’être un peu soutenue au milieu de ses ennemis, elle désira qu’il vînt aux répétitions. Elle l’invita même à être dans sa loge le jour du spectacle à son profit, afin de la secourir au moment de sa toilette, s’il lui survenait quelque embarras. Cordier n’eut garde d’y manquer, et bien leur en prit à tous deux.

La jeune actrice avait commandé pour son rôle de Phœbé un croissant avec des pierreries. On n’apporta ce joyau de rigueur qu’une heure avant le lever du rideau, et il se trouva que le cercle d’or par