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corde ; mais n’ayant pas le nécessaire pour se tuer, il se mit à chercher quelque chaumière où l’on voulût bien lui donner un morceau de pain pour déjeuner.

Cordier, qui ne connaissait pas les chemins et n’osait pas retourner du côté de Mortain, s’égara dans la forêt. Il trouva enfin des bûcherons qui travaillaient, et leur demanda s’il n’y avait pas près de là quelque habitation. Ces bonnes gens lui indiquèrent une forge qui n’était pas loin. Il y alla aussitôt, dirigé par le bruit que faisaient les ouvriers. À côté de la forge était une jolie maison, située au plus épais du bois et entourée d’un jardin bien entretenu. La porte en était ouverte. L’abbé, poussé par la faim, entra sans hésiter. Les bûcherons lui avaient appris que le maître de forges s’appelait M. Durand et que c’était un excellent homme. Il demanda donc à parler à M. Durand. On le conduisit dans un cabinet où il trouva un gros homme d’assez bonne physionomie, qui mit sa plume sur son oreille pour l’écouter.

— Monsieur, lui dit l’abbé, je viens de Paris pour me faire trappiste à Avranches, et je me suis égaré dans les bois. Aurez-vous la bonté de me faire donner un peu de pain et de m’indiquer la route qu’il faut suivre pour aller au couvent de la Trappe ?

M. Durand reconnut tout de suite qu’il n’avait pas affaire à un mendiant.

— Bien volontiers, mon garçon, répondit-il. Un morceau de pain ! cela ne se refuse pas. Je vous offrirai davantage : on va sonner le déjeuner ; je vais dire qu’on vous mette un couvert à ma table. Vous avez là une chienne d’envie, de vous faire trappiste. Est-ce par vocation, ou par suite de quelque chagrin ?

— C’est parce que je suis malheureux.

— Bah ! le diable n’est pas toujours attaché à la peau des gens. Laissez là votre idée de la Trappe. Voulez-vous travailler dans mes forges ?

— Nous verrons cela, monsieur ; donnez-moi le temps de réfléchir.

— Oui, nous allons en causer. Venez que je vous prête une veste. Il ne faut pas que vous soyez en manches de chemise pour déjeuner avec ma femme et ma fille.

M. Durand avait un fils en voyage. Il prit dans les habits de ce fils une vieille veste de campagne, qui se trouva parfaitement à la taille de Cordier. Le déjeuner étant prêt, notre abbé fut conduit dans la salle à manger, et il prit place entre Mme Durand et Mlle Charlotte sa fille, qui avait dix-huit ans et qui était jolie. Il mangea bien, plai-