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rencontrent souvent dans la conduite de la vie, et qu’il est si mal aisé d’exprimer : « Cela paraît galimathias ; mais ce galimathias est de ceux que la pratique fait connaître quelquefois, et que la spéculation ne fait jamais entendre. J’en ai remarqué de cette sorte en toutes sortes d’affaires. » Peut-être que la spéculation ne sera pas toujours impuissante pour faire entendre, sinon pour faire pleinement comprendre cette unité mystérieuse des différences, qui est le secret de la science non moins que de la vie. Mais nous ne pensons pas que la clé de cette énigme puisse être jamais trouvée dans la doctrine des Écossais, et M. Hamilton nous paraît avoir démontré que, pour être conséquent aux principes, sinon fidèle aux promesses de sa propre philosophie, M. Cousin doit renoncer, comme lui, à la poursuite de l’absolu.

Dans ses derniers écrits, M. Cousin a paru abandonner et le mot, et, jusqu’à un certain point, la chose même. Il n’y parle plus guère de la connaissance de l’absolu comme premier et unique principe de toutes choses, mais seulement de la connaissance des êtres en eux-mêmes, par opposition aux phénomènes, des causes, des substances, des existences réelles. M. Peisse, dans son excellente préface, suit M. Cousin sur ce terrain, tandis que M. Hamilton n’avait argumenté que sur l’absolu, l’infini et l’inconditionnel, entendus à la rigueur dans le sens le plus abstrait et le plus relevé.

Dans l’avertissement qui précède la dernière édition de ses Fragmens philosophiques (1838), M. Cousin, s’adressant à M. Hamilton : « Vous vous résignez, dit-il avec sa verve ordinaire, à vous passer de l’ontologie. Vous m’exhortez à en faire autant, et à savoir ignorer ce qu’il n’est pas donné à l’homme de connaître. Qu’est-ce à dire ? N’ayons pas peur des mots. L’ontologie, ce n’est pas moins que la science de l’être, c’est-à-dire, en réalité, des êtres, c’est-à-dire de Dieu, du monde et de l’homme. Voilà donc ce que vous me proposez d’ignorer par scrupule de méthode ! Mais si votre science n’atteint pas jusqu’à la nature, ni jusqu’à Dieu, ni jusqu’à moi, que m’importe ce qu’elle m’enseigne[1] ? » — « On ne nie pas, réplique M. Peisse, au nom de M. Hamilton et au sien propre, on ne nie pas que notre science n’atteigne jusqu’à Dieu, jusqu’à la nature et jusqu’à nous ; on ne discute que sur la nature, le contenu et la forme de cette science. Selon nous, notre connaissance des êtres est purement indirecte, finie, relative ; elle n’atteint pas les

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