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la seconde du moins doit subsister encore, ou si elle est, comme la première, réfutée par l’expérience même. La cause qui est le sujet propre de l’expérience intime n’est-elle pas la substance, elle n’est encore, en ce sens, qu’un phénomène, une modification superficielle d’un fonds invisible, d’un substrat inconnu.

Maine de Biran a montré que, dès la première expérience intérieure qui nous révèle à nous-mêmes, nous avons avec le sentiment de notre pouvoir actuel le pressentiment assuré de sa permanence ; nous nous révélons à nous-mêmes comme une force durable. Dès la première expérience, nous croyons donc que nous sommes dans l’absolu de notre être ce que nous savons être dans le fait transitoire et relatif d’une action présente. « Ainsi, dit le profond métaphysicien, on peut dire que le relatif et l’absolu coïncident dans le sentiment de force ou de libre activité ; et c’est là, mais là uniquement, que s’applique cette pensée de Bacon, si opposée dans tout autre sens à notre double faculté de connaître et de croire : Ratio essendi et ratio cognoscendi idem sunt, et non magis a se invicem differunt quam radius directus et radius reflexus. Ici, en effet, l’aperception immédiate interne de la force productive n’est-elle pas, comme le rayon direct, la première lumière que saisit la conscience ? Et la conscience réfléchie de force ou d’activité libre qui donne un objet immédiat à la pensée sans sortir d’elle-même, n’est-elle pas comme la lumière qui se réfléchit en quelque sorte du sein de l’absolu[1] ? »

Mais en même temps, Maine de Biran ajoute que nous nous ignorons invinciblement nous-mêmes à titre de substance, et qu’en ce sens il n’y a point de lumière directe ni réfléchie qui nous éclaire sur ce que nous sommes dans l’absolu. Pourquoi ? Parce que la substance est le sujet passif des modifications, que nous ne nous savons nous-mêmes qu’à titre de libre activité, et que, par conséquent, nous ne saurons jamais ce que nous sommes dans le passif et dans le fond de notre être.

Ainsi, la volonté serait la fin de notre connaissance de nous mêmes. Au-delà un abîme sans mesure, une nuit impénétrable.


Il nous semble, au contraire, que, dans la conscience, la volonté

    voit les résultats éloignés, mais non la réflexion qui replie l’esprit sur lui-même, et l’habitue à se saisir toujours dans son action vivante, au lieu de se conclure des effets extérieurs. » Si qua fata aspera vincas !…

  1. Œuvres, pag. 250.