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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

publics, étaient une lutte, un concours. À Athènes, les concurrens se présentaient, d’ordinaire, au nombre de cinq[1]. Si les didascalies ne mentionnent presque jamais que trois poètes[2], c’est qu’on n’inscrivait sur ces monumens que les noms des vainqueurs[3]. Il n’y a rien, non plus, à conclure de quelques récits célèbres, où ne figurent que deux antididascales[4]. Ces espèces de duels dramatiques ne prouvent, en aucune façon, qu’il n’y ait pas eu en même temps dans la lice un plus grand nombre de concurrens.

Si chacun des cinq poètes n’eût présenté qu’une pièce, on concevrait aisément que ces cinq drames aient pu être joués en un jour. Mais, presque aussitôt après Thespis, la coutume s’établit parmi les tragædodidascales de lier ensemble plusieurs ouvrages. Lors de la transformation des chœurs dionysiaques en chœurs tragiques, les dévots au culte de Bacchus se plaignirent de ne plus rien entendre dans les tragédies en l’honneur du dieu. Pratinas, prédécesseur et rival d’Eschyle, fit droit à ces réclamations pieuses, et joignit un drame satyrique à chacune de ses tragédies[5]. Bientôt Eschyle substitua aux dilogies[6] de Pratinas une composition plus développée et plus complète ; il créa la trilogie[7], c’est-à-dire l’union harmonique de trois tragédies, qu’il couronna quelquefois[8] par un drame satyrique, dont le sujet n’était pas nécessairement lié à celui des pièces précédentes[9]. Ce vaste ensemble constitua l’œuvre qu’on appela tétralogie.

Or, les concurrens étant au nombre de cinq, il y avait nécessairement dans chaque concours de tétralogie vingt pièces à représenter, tâche immense, qui n’aurait pu s’accomplir en un seul jour et en une

  1. Cinq des tribus choisissaient chacune un chorége, et les cinq autres chacune un ou deux juges. V. Boeckh., Corpus inscript., n. 231, et Animadv. in n. 239. — Comme le nombre des tribus a plusieurs fois changé, cela peut expliquer les variations du nombre des juges et celui des concurrens.
  2. Argument. in Aristoph. Equit., Av., Vesp., et Ran.Suid., (voc. Πρατίνας), Argum. in Euripid. Hippolyt., et Med.
  3. Boeckh., Corpus inscript., tom. I, pag. 352.
  4. Dicæarch., in Argum. in Œdip. tyr.Ælian., Var. hist., lib. III, cap. VIII.
  5. Suidas attribue à Pratinas cinquante pièces, dont trente-deux drames satyriques. Ce chiffre, que Casaubon conteste (De Satyr. poesi, lib. I, cap. V, pag. 167), prouverait, s’il était certain, que ce poète fit représenter quatorze drames satyriques isolés.
  6. Ce mot, employé par M. Welcker, ne se trouve pas avec ce sens, je crois, dans les auteurs anciens.
  7. Schol., in Aristoph. Ran., v. 1155.
  8. Je dis que la trilogie eschyléenne fut quelquefois, et non pas toujours, suivie d’un drame satyrique ; car, sur les soixante et dix pièces d’Eschyle dont nous connaissons les titres, on ne remarque que cinq ou sept drames satyriques.
  9. Casaub., ibid., pag. 164. — Welcker, Die AEschyl. Trilog., pag. 505, seq., et suppl., pag. 296.