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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

répondaient que les feux dont resplendissait la ville étaient une garantie pour les mœurs[1]. Enfin, à l’occasion des jeux séculaires, nous voyons l’empereur Philippe donner sur le théâtre de Pompée des représentations scéniques qui durèrent, selon l’usage, trois jours et trois nuits, pendant lesquels le peuple contempla les spectacles à la clarté des torches et des lampes[2] ; mais c’étaient là de rares et très particulières exceptions.

Je ne puis, en terminant, m’empêcher de faire une remarque peu flatteuse pour notre scène : c’est que plus le théâtre antique s’éloigne de son origine religieuse, plus il s’écarte de ses traditions primitives et nationales, plus il entre dans des voies d’exploitation industrielle ou de caprice particulier, et plus les points de ressemblance entre ces tréteaux déchus et les nôtres deviennent nombreux et frappans. Toutefois, il faut se hâter de le dire, ces ressemblances malheureuses s’arrêtent à l’extérieur et ne portent guère que sur des détails d’organisation et de police. Par un bonheur dont il faut féliciter la civilisation moderne, l’antiquité ne nous a légué de ses productions dramatiques que celles des meilleurs âges : presque aucune œuvre des bas siècles n’a survécu de sorte que, tandis que l’organisation matérielle de nos théâtres est à peu près l’image de la plus triste et de la plus mauvaise organisation de la scène antique, dans l’ordre poétique, au contraire, nous n’avons eu pour modèles que les plus parfaits chefs-d’œuvre des plus beaux temps du théâtre grec et romain. C’est dans la lecture et, pour ainsi dire, dans la société familière d’Eschyle et de Sophocle, de Plaute et de Térence, que les génies fraternels de Molière et de Racine ont puisé cette hardiesse attique, cette exquise justesse de mouvemens et de proportions, qu’on ne sait ni comment assez louer, ni comment définir, mais dont on retrouverait au besoin le sentiment et le secret, si jamais ils couraient risque de se perdre, dans l’étude intelligente de la peinture et de la sculpture antiques, devant le groupe de la Niobé ou les bas-reliefs du Parthénon.


Charles Magnin.
  1. Tacit., Annal., lib. XIV, cap. XXI.
  2. Il nous reste quelques-unes de ces anciennes lampes théâtrales. V. Le Pittur. antich. d’Ercolan.