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REVUE. — CHRONIQUE.

sentent dans la chambre des députés les deux nuances du parti gouvernemental se sont séparés. C’est là un fait capital dont les conséquences pèseront longtemps sur l’administration du pays. M. Thiers et M. Guizot, en se séparant, ont enlevé au pouvoir la moitié de sa force. On a beau s’agiter, et tenter toutes les combinaisons possibles, nul ne fera que la puissance politique de celui qui n’est pas au banc des ministres profite au cabinet. M. Thiers était faible de l’absence de M. Guizot, bien que M. Guizot ne fût plus à la tête de son parti ; M. Guizot sera faible de l’absence de M. Thiers. Ce sont deux moitiés d’un tout politique dont aucune, quelque considérable qu’elle soit par elle-même, ne peut reproduire ce gouvernement puissant qui a laissé de si nobles souvenirs au pays.

Mais il est inutile d’insister sur ces faits accomplis et sans remède. Ce que tout homme sensé et ami de son pays doit désirer aujourd’hui, c’est que l’administration trouve les moyens de surmonter les circonstances difficiles où elle se trouve placée. Le pays a besoin, avant tout, d’être gouverné : il faut savoir gré aux hommes chargés du pouvoir, du courage et du dévouement dont ils ont fait preuve en l’acceptant.

Les mauvaises passions ne cessent de s’agiter. Un attentat abominable est venu de nouveau contrister la France et a prouvé qu’il faut redoubler de vigilance, si on ne veut pas livrer la société à une poignée de forcenés pour qui il n’y a rien de sacré.

L’Espagne a malheureusement réalisé toutes nos prévisions. Espartero a assumé sur lui une terrible responsabilité. Il nous est impossible de croire qu’il ait la main assez forte pour fonder un gouvernement au milieu des passions locales et brutales qui agitent l’Espagne.

La politique coûte cher à l’Université. Au 1er mars, elle lui enleva M. Villemain ; aujourd’hui elle lui enlève M. Cousin, et si le cabinet du 29 octobre venait à se retirer sans être remplacé par celui du 1er mars, très probablement l’Université aurait à regretter à la fois la perte de ces deux hommes éminens, qui lui ont rendu et qui peuvent lui rendre encore de si grands services. M. Cousin a signalé son administration par des innovations importantes. Il a montré dans ses réformes et dans les institutions qu’il a fondées tout ce que peut un esprit hardi et pratique, éclairé par de profondes méditations sur l’enseignement public et par une longue expérience.

Les vicissitudes ministérielles privent l’administration d’un autre de ses collaborateurs les plus actifs et les plus habiles. M. Vivien avait quitté le conseil d’état pour prendre les sceaux. Le pays n’oubliera pas l’attention scrupuleuse et sévère, la haute impartialité qu’il a apportée dans le choix des magistrats. Nous regrettons que sa retraite vienne interrompre les travaux importans auxquels il se livrait avec une ardeur soutenue. Le département de la justice a besoin d’hommes actifs et zélés. Il serait temps d’occuper les chambres des nombreuses réformes que réclament notre législation civile, notre procédure, notre organisation judiciaire. Cela vaudrait bien les stériles et bruyans débats de la politique.