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Le lieutenant saisissait dans ses bras Mme B…, quand son malheureux époux, à qui la fureur faisait oublier tout danger, et qui, je crois, dans ce moment, se serait précipité entre dix mille épées nues (on outrageait sous ses yeux sa femme et sa fille), se jeta sur lui et le frappa du poing. Quelle que fût sa colère et son désespoir, M. B… était trop faible pour une pareille lutte ; un coup terrible que le brigand lui porta dans la poitrine l’étendit à terre. Je vis luire le stylet du misérable, je m’élançai pour sauver mon ami ; mais avant que j’eusse pu le secourir, je sentis un corps froid, et puis tout à coup comme une langue de flamme qui me traversait la poitrine de part en part. Je tombai sur les genoux, étourdi du coup. Le brigand qui m’avait frappé par derrière, allait redoubler quand la voix tonnante de son chef l’arrêta. — Maledetto, criait-il, qui donc écrira pour les rançons si vous les tuez ? M. B…, de son côté, avait écarté le poignard du lieutenant avec sa main que la lame avait horriblement coupée. Ce cri de Barbone le sauva comme moi ; le coquin, lui serrant la gorge, le souleva tout d’une pièce, et le jetant comme un cadavre aux pieds de ses camarades : — Liez donc ce fou, leur cria-t-il, et attachez-moi l’autre aussi, quoiqu’il ait déjà son compte, — ajouta Barbone en m’indiquant du doigt. J’avais la gueule d’une espingole sur la poitrine et le bout d’un pistolet dans chaque oreille ; il fallut bien me laisser lier. Quand nous fûmes garrottés comme des animaux qu’on porte au marché, on nous jeta dans un coin. Je souffrais horriblement de ma blessure ; il me sembla néanmoins qu’aucun organe essentiel ne devait être attaqué, je n’éprouvais aucune difficulté à respirer, et ma bouche ne s’était pas remplie de sang. Je n’essaierai pas de dissimuler ce mouvement d’égoïsme, mouvement tout humain qui fit que dans cet instant je commençai en quelque sorte par m’occuper de moi-même et me tâter ; mais, dans la minute qui suivit, le souvenir de nos infortunées compagnes revint vivement dans ma mémoire, et je reportai avec effroi les yeux de leur côté.

Débarrassés de nous, Barbone et son lieutenant s’étaient rapprochés des deux dames, qui se tenaient étroitement embrassées, et qui, à elles deux, ne poussaient qu’un seul cri de terreur et ne faisaient entendre qu’une seule supplication. Les rires des infâmes qui entouraient leurs victimes, et leurs propos obscènes, semblaient aiguillonner ces deux hommes grossiers. Saisissant par la ceinture chacune des deux femmes, ils les tiraient à eux de toutes leurs forces, mettant leurs vêtemens en pièces et découvrant leurs bras et leur sein. Les forces de ces malheureuses étaient épuisées. Mlle B…, arrachée des