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faire leurs frocs. » M. Artaud a mis : « Il en est (des brebis) qui redoutent le péril et se serrent contre le pasteur ; mais elles sont en petit nombre, peu de laine suffit pour les couvrir. » Et pour compléter sa pensée, M. Artaud ajoute cette note sublime : « De notre temps, le vers du Dante n’aurait rien de trop répréhensible. Il est constant que, dans beaucoup de pays, des amateurs enthousiastes de mérinos ont fait faire des espèces de couvertures qui mettent ces précieux animaux (n’oubliez pas que Dante a parlé de moines) à l’abri de la pluie ou du froid. Mais où nous a conduit une comparaison du Dante, qui, en elle-même, n’offre rien de ridicule et de plaisant ? (Je le crois bien !) » Un des endroits notables de la traduction de M. Artaud est un passage du XXe chant du Paradis, où Dante fait dire à Hugues Capet : « Je fus fils d’un boucher de Paris. » M. Artaud, qui était secrétaire de légation à Florence, se sentit humilié pour le souverain qu’il représentait, et la diplomatie vint à son aide. Il imagina qu’il serait bien plus noble de faire de Hugues Capet un riche marchand de bœufs de Poissy, et il met dans sa traduction : « De ses nombreux troupeaux mon père alimentait Paris. » C’est ainsi que l’honneur des rois de France fut sauvé !

Nous avons annoncé des hérésies à faire brûler vif M. Artaud. En voici :

Dante dit, chant IV du Paradis : « Que notre justice paraisse injuste aux yeux des mortels ; c’est une raison de foi, et non de méchanceté hérétique. »

M. Artaud met : « Que notre justice paraisse injuste aux yeux des mortels ; c’est un argument que la foi peut hasarder, et ce n’est pas une coupable hérésie. » Excusez du peu !

Autre hérésie de M. Artaud. Dante avait mis, au chant VII du Paradis : « Le souverain bien, qui produit le mouvement et la joie de ce royaume que tu gravis, fait de sa providence le moteur de ces grands corps ; et non seulement du sein de sa pensée, qui a toute perfection, il veille sur les êtres, mais il veille encore sur leur salut. »

M. Artaud a mis : « Le bien suprême, qui meut et comble de bonheur le royaume que tu parcours, ne prive jamais ces grands corps de sa divine providence. Dieu, qui est parfait, a non-seulement placé toutes les natures dans son esprit, mais il veut qu’elles soient entières et parfaites comme lui. » Indépendamment du galimatias, qui est triple, qui a jamais prononcé d’aussi grands blasphèmes, excepté les panthéistes les plus exagérés ?

Dans le même chant, Dante avait mis : « La nature qui engendre suivrait toujours la même voie que la nature qui est engendrée, si la providence divine ne triomphait pas. » M. Artaud met : « Un fils ressemblerait à son père, si la providence divine n’en ordonnait autrement. » Et pourquoi donc, monsieur Artaud ! ne voulez-vous pas que les enfans ressemblent à leur père ?

Dernière hérésie que nous citerons. Dante avait mis, au chant XXIXe du Paradis : « Il n’était pas pour acquérir plus de perfection, cela ne saurait être, mais afin qu’il pût dire en rayonnant dans sa splendeur : J’existe ; que, dans son éternité, hors du temps et de l’espace, l’amour éternel s’épanchât, lorsqu’il le voulut, en neuf ordres d’amours. Et on ne saurait dire qu’il fût