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des peuples ; il aurait, de l’autre, à faire remarquer combien l’état social était au-dessous de ces maximes elles-mêmes, et à montrer pourquoi il leur fut interdit de s’épanouir alors dans la plénitude de leur grandeur morale. Rappelons en peu de mots les principales difficultés que dut rencontrer en ces temps-là cette œuvre de l’association universelle que notre siècle reprend comme une idée neuve à sa manière et à son tour.

La première résultait assurément de la manière vague et mal définie dont furent comprises, à cette époque, et la suprématie pontificale, et les prérogatives de l’empire. Non contente d’aspirer au rôle d’arbitre suprême, et de décider de la politique en tant que souveraine appréciatrice de la discipline et de la morale, Rome, préoccupée du soin d’une domination temporelle dont la violence des temps lui faisait d’ailleurs une loi pour la conservation de sa propre indépendance, entendit souvent dans un sens tout matériel le droit de suzeraineté que lui déférait la conscience des peuples. De son côté, l’empereur romain, par l’incertitude de son titre sur l’Italie et ses vagues prétentions de haut domaine sur toutes les couronnes chrétiennes, se trouvait menacer également et l’indépendance de celle-là et la dignité de celles-ci. Lorsqu’au XIVe siècle le plus grand jurisconsulte de l’époque, Bartole, proclamait dogmatiquement la souveraineté de l’empereur jusqu’aux confins de la terre habitable, lorsqu’au siècle suivant des papes montaient à cheval pour commander eux-mêmes leurs armées, il était clair que la constitution de l’Europe chrétienne ne pouvait résister à cette étrange confusion de toutes les idées et de toutes les choses.

Le génie des institutions féodales rendait d’ailleurs impossible l’application de cette spiritualité élevée, prématurément introduite dans une société où la conquête avait en quelque sorte rajeuni le droit antique de la force par une consécration nouvelle. L’afféagement du sol avait, il est vrai, arrêté le torrent de l’invasion, et ancré au rivage cette terre si long-temps battue par la tourmente ; mais les mailles serrées du réseau dont ce système couvrit l’Europe, durent arrêter le développement naturel de celle-ci, et empêcher la vie de circuler librement dans son sein. Des relations de vassalité s’établirent en dehors de la volonté des peuples et de leurs intérêts d’avenir. La possession du territoire se trouvant étroitement liée au droit des personnes suivit toutes les fortunes de celles-ci, de telle sorte que le décès d’un prince et le mariage d’une princesse suffirent pour briser les relations les plus intimes. Des provinces furent liées à une domination étrangère,