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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

génie ; la Hollande, qui promettait au XVIIe siècle de devenir ce que l’Angleterre est au XIXe, s’abaissait aussi comme puissance politique ; l’empire ottoman reculait par cela seul qu’il n’avançait plus ; la Pologne subissait l’influence étrangère sous les Auguste, et tous les rouages de la vieille machine européenne étaient détraqués à la fois.

Le système de l’équilibre avait oublié d’ailleurs de tenir compte des grands hommes, dont la seule influence suffit malheureusement pour déranger son mécanisme. Voici surgir un royaume nouveau à la place de ce duché de Prusse, fief obscur de la Pologne, un électeur de Brandebourg qui s’est fait roi, et dont le petit-fils s’appellera Frédéric II. Voici un barbare au prédécesseur duquel le congrès de Westphalie avait refusé le titre d’altesse, qui vient de prendre à la Suède le terrain où bâtir la capitale du plus gigantesque empire qu’ait vu le monde. Or, pour ne point parler ici de la Russie, dont la décisive influence ne se fit pas sentir immédiatement, la seule érection du royaume de Prusse allait bouleverser toutes les combinaisons de la politique, car cet état, centre naturel de toutes les sympathies protestantes et de tous les intérêts du nord de l’Allemagne, ne pouvait manquer de diviser l’empire et d’y balancer promptement l’influence autrichienne. Ce rôle lui était tracé par la nature des choses, et ce fut sans doute pour se mettre en mesure de le remplir et pour fonder l’équilibre de l’Allemagne sur une juste pondération de pouvoirs que Frédéric crut devoir s’adjuger la Silésie.

La France applaudit d’abord, et cela devait être, au formidable rival qui s’élevait contre son plus vieil adversaire ; elle unit ses efforts aux siens pour briser la couronne impériale sur la tête d’une femme héroïque. Mais au moment où l’alliance des cabinets de Versailles et de Berlin paraissait devoir devenir l’une des règles fondamentales du système européen, on vit s’opérer un revirement soudain dans l’attitude de toutes les parties belligérantes, et toutes les notions de la politique jusqu’alors consacrées se trouvèrent brouillées et confondues. Le cabinet autrichien sut profiter des voies qu’ouvrait l’intrigue à la cour la plus frivole et la plus dissolue de l’Europe, pour déterminer dans le système de la politique générale un revirement aussi inattendu que complet, et l’on vit la France, dont Richelieu avait constitué le protectorat sur tous les petits états protestans de l’Allemagne, et qui venait de faire de si grands efforts pour élever le roi de Prusse, employer toute sa puissance pour l’écraser. Cette maison d’Autriche, qu’elle poursuivait la veille encore avec un acharnement