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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

Qu’on ne donne pas à ce principe une extension qu’il ne comporte pas. Il ne s’agit point, on doit le comprendre, d’engager la France dans un cosmopolitisme indéfini au mépris d’intérêts plus directs, et de substituer au propagandisme brutal de la liberté le chevaleresque redressement des injustices de tous les âges. Les gouvernemens sont condamnés à l’égoïsme par la nature même de leur mission, en ce sens que l’abnégation, qui est une vertu chez les particuliers, serait un crime pour une société, à laquelle manque la perspective d’une seconde vie pour se faire payer des sacrifices faits en celle-ci. Les premiers devoirs resteront donc pour la France ceux qui ont un rapport immédiat au soin de sa sûreté et de sa fortune, à la nécessité de garantir l’une et l’autre, contre les chances de l’avenir. Ajoutons que la France de 89 et de 1830 ne garde pas seulement ses frontières, qu’elle défend encore contre de redoutables influences le principe même de ses institutions, et qu’elle est enfin responsable de ce dépôt devant les générations futures. De cet ordre de faits découle un ordre d’obligations précises et rigoureuses, avec lesquelles aucun compromis n’est possible, et qui doivent former aujourd’hui comme la partie fixe de la politique française.

Aux premiers jours de la révolution de juillet, on crut satisfaire à tout ce que réclamait le soin de notre sûreté et de notre indépendance politique en proclamant le principe de non-intervention et en s’efforçant de le faire accepter par l’Europe. Ce fut là sans doute une honorable inspiration, et il y eut courage et habileté à jeter alors un tel obstacle entre la Prusse et la Belgique, entre l’Autriche et la Sardaigne ; mais cette doctrine ne pourrait, sans de dangers sérieux, devenir celle du monde politique, et la France devrait moins qu’une autre essayer de la produire comme une maxime fondamentale dans l’ensemble du droit public européen. Voyez, en effet, ce qui advint promptement de la non-intervention : ce principe était à peine proclamé, que déjà les évènemens en déterminaient la violation, en la légitimant par des considérations péremptoires. Après la débâcle de Louvain, la France intervenait en Belgique, pour empêcher une restauration incompatible avec l’établissement de sa nouvelle dynastie, au même titre et en même temps que l’Autriche occupait les légations pour maintenir ses possessions milanaises et vénitiennes. Si la France et l’Europe, plus inquiètes l’une et l’autre de respecter une abstraction que de pourvoir à leur sûreté, s’étaient inclinées devant la non-intervention comme devant une infranchissable barrière, si un principe absolu avait prévalu contre une politique prudente au-