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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

dans l’œuvre désintéressée qu’elle poursuit, devait être de réclamer la sanction du droit pour le fait glorieux qui éveille depuis trente ans l’admiration du monde. En stipulant les plus larges garanties dans l’intérêt des nombreuses populations chrétiennes, elle devait faire en Égypte et en Syrie ce qu’elle avait fait en Grèce pour la race hellénique, alors que de protocole en protocole elle arrachait pour ce nouvel état, du mauvais vouloir de certaines chancelleries, des frontières moins restreintes que celles où l’on avait d’abord prétendu le confiner ; elle devait enfin faire aux bords du Nil et de l’Euphrate ce qu’elle ferait dans l’occasion aux bords du Danube, si un peuple vivant se réveillait jamais dans les vastes plaines qu’il arrose. Quelle que soit donc l’issue de ces grandes transactions, l’opinion publique peut être fière des généreuses pensées qu’elle n’a cessé d’y apporter. Elle a tout embrassé dans une même vue d’équité, tout pesé à la même balance. Les signataires du quadruple traité pourraient-ils se rendre le même témoignage, pourraient-ils avouer leurs secrètes pensées avec autant de sincérité que dès l’origine la France afficha les siennes ?

Au lendemain de la défaite de Nézib, le gouvernement français, faisant parler la victoire et la force, cette double puissance devant laquelle s’incline l’Orient, pouvait provoquer une négociation directe entre un redoutable vassal et le malheureux prince si étrangement abusé par les influences étrangères, qui venaient de conseiller une guerre désastreuse. Un rôle de médiation et d’arbitrage qu’il était difficile de lui disputer s’ouvrait alors devant lui. Mais la France s’est rappelé que des engagemens antérieurs la liaient à l’Europe. Elle s’est refusée à assumer la première la responsabilité de la rupture de la grande alliance d’Aix-la-Chapelle, et elle s’est engagée dans l’intervention collective, alors qu’elle trouvait dans ses alliés un concours moins désintéressé que le sien ; elle est restée fidèle, même au prix du succès, à la haute et pacifique pensée qui avait garanti la sécurité de toute une génération. Ne l’en blâmons pas, quelque amère déception qu’elle se soit préparé, et sachons respecter jusque dans les calamités temporaires qu’elles entraînent les inspirations du génie de la civilisation et de la paix.

Avant que cette grande question ait reçu sa solution définitive, nous aurons souvent à faire appel aux principes désintéressés posés par nous. Ceux-ci feront notre force devant l’Europe au jour d’un conflit qu’on a quelque droit d’estimer inévitable.

Deux issues s’ouvrent, en effet, devant les évènemens : ou l’alliance de l’Angleterre et de la Russie se maintiendra pour atteindre