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fance, les abaissemens de la vieillesse, les agonies de la mort ; il fait l’histoire des douleurs humaines au-delà de cette vie, dans les autres existences, dans les enfers et même dans le ciel, séjour précaire dont les habitans sont torturés par la perspective de redescendre sur la terre[1]. À cette condition douloureuse de l’homme qui se continue d’un monde dans l’autre, il n’y a qu’un remède et qu’un terme, c’est la grande émancipation finale par laquelle il se soustrait aux maux qu’il est destiné à subir, tant qu’il tourne dans la roue de l’existence. Quel peut être l’effet d’opinions pareilles à celle que je viens d’exposer sur la conduite des hommes et sur les formes de la société ? c’est ce qui nous reste à examiner.

Par plusieurs côtés, la morale des Pouranas rappelle celle de l’Évangile : elle défend non-seulement les actes, mais même les pensées coupables[2] ; elle prescrit le jeûne, la prière, les austérités. Nulle part la vertu de pénitence n’a reçu un aussi magnifique hommage que dans les croyances indiennes. Les macérations des solitaires ont tant de puissance, qu’elles peuvent leur donner droit à remplacer les dieux. Ceux-ci tremblent quand ils entendent parler des austérités inouies de quelque ermite, et n’ont d’autre ressource que de lui envoyer une nymphe chargée de sauver à tout prix le trône des immortels. La pénitence peut tout, elle a même la puissance de créer. Dans le Bhâgavata Purâṇa, il est dit que Brahma, par une pénitence de seize mille années, a créé le monde[3]. Le sentiment des misères de la vie humaine, le sentiment de la dégradation de notre nature, la notion de la chute entendue comme l’entendait Origène, enfin, ce qui en résulte, le besoin d’un sauveur, les incarnations dont le but est, comme celle de Vichnou, de soulever le fardeau de la terre[4], tout cela est assez analogue au christianisme ; j’ai trouvé même dans le Bhâgavata Purâṇa un passage où il semble être question de la grace[5] : « Donne-nous, ô Dieu, ta propre vue, avec ton énergie, afin que, soutenus par ta faveur, nous puissions accomplir notre tâche. »

Quant à la charité universelle, bien que l’esprit de caste, tout-puissant aux Indes, lui soit contraire, on en trouve çà et là quelques lueurs dans les Pouranas. Il faut recevoir l’hôte dont le nom, la pa-

  1. Vishnu-Purana, pag. 641.
  2. Let him not think incontinently of another’s wife. Vishnu-Purana, pag. 39
  3. Bhâgavata Purâṇa, pag. 269
  4. Vishnu-Purana, pag. 437.
  5. Bhâgavata Purâṇa, pag. 323.