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Blessé, il se dirigea vers Paris, où, après avoir combattu avec le plus grand succès ceux d’entre les philosophes qui défendaient les doctrines d’Averroës, il eut la satisfaction de voir l’Université de cette ville approuver son Art, celui de ses ouvrages qui résumait les études de toute sa vie, et qu’il regardait comme le plus propre à faire triompher la vérité[1]. Ce succès, grace auquel il vit sa doctrine se répandre par toute l’Europe, lui fit oublier sa triste aventure à la cour papale. N’étant sujet d’ailleurs ni au découragement ni à la rancune lorsqu’en 1311 Clément V tint le concile de Vienne en Dauphiné, où l’on prononça l’abolition de l’ordre des templiers, Raymond Lulle s’y rendit et y demanda trois choses :

1o Ce qu’il avait proposé tant de fois déjà : l’établissement dans toute la chrétienté de monastères où des hommes pieux et savans pussent apprendre les langues orientales et se préparer à toute espèce de souffrances et de dangers pour la cause de Jésus-Christ ;

2o De réduire tous les ordres religieux militaires existans à un seul, afin d’éviter les querelles de préséance qui s’élevaient journellement entre ces ordres, et, par cette mesure, de les rendre plus utiles à la cause de Dieu ;

3o Enfin, de supprimer dans les écoles, par un ordre du pontife, les œuvres d’Averroës, en en défendant la lecture à tous les chrétiens[2].

La demande que fit Raymond au sujet des ordres religieux militaires ne paraît avoir aucun rapport avec l’acte de sévérité que l’on exerça contre les templiers à ce concile, et l’on ne donna pas au docteur illuminé la satisfaction qu’il espérait à l’occasion des œuvres d’Averroës ; mais de ses trois requêtes il y en eut une d’accueillie. Clément V, quoique éloigné de Rome, y fonda cependant, vers cette époque, des chaires pour les langues grecque, hébraïque, arabe et syriaque ; il paraît même que Philippe-le-Bel, entraîné par cet exemple, fit quelques tentatives pour former des écoles semblables à Paris. Le roi de Maïorque en établit à Palma, en sorte que l’un des projets

  1. L’acte qui constate cette approbation, daté de 1309, se trouve imprimé au nombre des pièces justificatives annexées à l’Apologie de la vie et des œuvres du bienheureux Raymond Lulle, par A. Perroquet, prêtre ; Vendôme, 1667.
  2. Averroës avait adopté et commenté les opinions d’Aristote. Quoique sa religion extérieure fût l’islamisme, ce philosophe professait une égale indifférence pour tous les cultes. C’est cette indifférence que Raymond Lulle jugeait si pernicieuse à la jeunesse des écoles. Cependant ce ne fut que beaucoup plus tard, sous le pontificat de Léon X, que la censure contre les ouvrages d’Averroës fut prononcée.