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RAYMOND LULLE.

Une autre idée de Raymond Lulle n’est pas moins remarquable. De plusieurs passages trop longs et trop obscurs pour être cités textuellement, on peut inférer clairement que la forme est, selon lui, la qualité la plus essentielle de la matière, et qu’elle influe sur la composition chimique[1].

La science de notre temps n’en est pas là ; mais chaque jour elle acquiert des résultats qui ne sont pas sans quelque analogie avec l’opinion de Raymond Lulle. Déjà, depuis long-temps, les physiologistes se sont aperçus que, dans l’organisation, l’élément de forme a plus d’importance que l’élément de composition, formule facile à saisir pour tout le monde ; il suffit, en effet, de considérer combien peu varie, dans chaque espèce, la forme végétale ou animale, quelles que soient les nombreuses modifications auxquelles soit soumis l’être organisé suivant les climats, les saisons, le mode d’alimentation, les milieux ambians, etc., toutes circonstances qui influent pourtant d’une manière si prononcée sur la composition chimique. Enfin, un fait analogue se produit dans la chimie minérale. On sait, en effet, que, le cristal de tel composé chimique, un sel par exemple, ayant une forme déterminée, cette forme néanmoins persiste dans beaucoup de cas, quand on mêle à ce sel d’autres substances analogues, quelquefois même en proportion assez considérable. La nouvelle théorie des substitutions, introduite tout récemment en chimie, donne également ce singulier résultat : que, dans un composé de plusieurs substances, un corps peut, en certaines circonstances, être substitué à son analogue, sans que les propriétés physiques et chimiques du composé subissent la moindre altération.

Quelque étrangers que soient les premiers tâtonnemens de l’alchimie du XIIIe siècle aux résultats précis que la chimie obtient de nos jours, on aimera, je pense, à retrouver les traces du fil délié et souvent rompu qui les unit.

J’aurais bien voulu citer en entier l’une des expériences de Raymond Lulle, la treizième en particulier, qui lui a été transmise à Naples par Arnaud de Villeneuve, et qui a pour but la création de l’or ; mais, après avoir lu avec la plus grande attention le chapitre qui traite de cette expérience, après l’avoir soumis à l’examen d’un chimiste et d’un autre savant de mes amis, il a fallu renoncer à décrire cette expérience, dont le texte n’a pas moins de six pages in-folio.

  1. Voyez Raymundi Lulli de Quintâ Essentiâ liber unus in tres distinctiones divisus. Coloniæ, Anno D. M. LXVII, pag. 10, canon XLV.