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chesse de Parme et le duc de Modène. Si l’affaire se terminait comme lord Palmerston l’imagine, quel serait le produit net de l’alliance ? L’influence anglaise plus puissante que jamais à Constantinople, dans l’Asie mineure, en Égypte. De tous les hommes, les Orientaux sont ceux qui croient le plus à la force, à son droit et à sa durée. La force, le succès, c’est la fatalité, c’est Dieu. Je ne serais pas étonné que le vieux Méhémet-Ali, qui, au fond de son ame, est un Turc, finît aussi par croire que les boulets anglais sont l’expression des décrets du Très-Haut. Il a du moins mille fois raison de penser que rien n’est sérieux de tout ce qui vient de l’Europe, que les coups de canon. Qu’il doit regretter de s’être laissé endormir par des conseils timides et des promesses chimériques ! Que pouvait-il lui arriver de pis en marchant, après le triomphe de Nézib, droit sur Constantinople ? Il aurait du moins succombé avec honneur, avec éclat, au milieu d’un grand cataclysme. Disons mieux ; il n’aurait pas succombé. La Russie aurait fait avancer ses bataillons lentement, timidement ; l’Angleterre, l’Autriche, peut-être aussi la France, seraient accourues, et comme il n’existait plus d’armée du sultan, comme la lutte se serait forcément établie entre les Russes et le pacha, entre la Moscovie et l’Orient, Méhémet-Ali avait chance d’obtenir de magnifiques concessions, et de voir combattre à ses côtés ces mêmes puissances dont aujourd’hui l’inimitié acharnée ou la froide amitié lui sont si funestes.

Quoi qu’il en soit, le canon de Beyrouth, c’est l’influence anglaise s’établissant sans rivale en Orient. La Syrie cessera peut-être d’appartenir à Méhémet, mais pour devenir un pachalik anglais. L’Égypte elle-même, à supposer que le pacha, battu, abaissé, avili, puisse la conserver, ne sera plus qu’une de ces provinces dont les Anglais savent depuis long-temps être les maîtres en Orient, tout en laissant à je ne sais quels mannequins la souveraineté nominale. Quand on connaît tout ce que les Anglais ont fait dans l’Inde, et ce qu’ils se proposent hautement de faire à la Chine, il n’est certes pas difficile de comprendre leur marche et leur but en Égypte et en Syrie. Lord Ponsonby à Constantinople, le consul Hodges à Alexandrie, et je ne sais quels autres consuls à Beyrouth, à Tripoli, à Damas, voilà, si l’on réussit, les vrais maîtres du pays. Encore une fois, le canon des vaisseaux anglais aura un long retentissement en Orient.

Pour en revenir à la note de lord Palmerston, elle n’est pas ce que pouvaient désirer les amis de la paix et de cette alliance anglo-française qui seule pouvait en être la garantie certaine. Tout en reconnaissant les sentinelles pacifiques et la conduite désintéressée de la France, lord Palmerston ne trouve sous sa plume que des arguties mille fois rebattues et mille fois réfutées. — Vous voulez, comme nous, dit-il, l’intégrité de l’empire ottoman ; il faut donc que le sultan règne en Égypte et en Syrie comme sur le Bosphore et aux Dardanelles. C’est précisément là ce à quoi nous travaillons ; — et comme le noble lord paraît aimer l’ironie, il a soin d’ajouter qu’il est charmé de se trouver ainsi d’accord avec nous.

Laissons ces jeux de mots et ces vains débats de sophistes. Quel est le fond