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DE L’HUMANITÉ.

rité du genre humain passa du côté des croyances qui ouvraient les cieux au martyr.

Voilà qui est de notoriété historique. C’est un bizarre dessein de vouloir s’insurger contre une telle évidence. M. Leroux espère-t-il persuader au genre humain que depuis dix-huit cents ans il s’est trompé sur le sens et la portée des paroles du Christ ? Nous doutons fort du succès de ce nouveau genre de révélation. Les doctrines de Jésus-Christ, affirme M. Leroux, étaient absolument les mêmes que celles de Moïse. Dieu était pour Jésus, comme pour Moïse, l’unité et la multiplicité ; la doctrine de Jésus, comme celle de Moïse, se résume dans ce grand mot : Dieu et l’humanité. Enfin, Jésus n’a jamais entendu par son royaume ou son règne, ou par le règne et le royaume de son père, que la terre régénérée, et il n’y avait pas d’autre lieu pour ce royaume que la terre et l’humanité. On est confondu de l’intrépidité de pareilles assertions. Et d’abord quelles en seraient les conséquences nécessaires ? Si Jésus-Christ n’a pensé que ce qu’a pensé Moïse, il n’y a pas de progrès du mosaïsme au christianisme. Il n’y a ni différence ni développement dans la marche de l’humanité. Si le Christ n’a jamais annoncé une vie divine, mais une autre vie humaine, le genre humain depuis dix-huit siècles serait le jouet d’une immense déception.

Nous ne saurions mieux rétablir la vérité historique qu’en citant quelques paroles de Bossuet où se trouve éloquemment caractérisée la différence qui sépare Moïse et Jésus-Christ. « Moïse, dit Bossuet, était envoyé pour réveiller par des récompenses temporelles les hommes sensuels et abrutis. Puisqu’ils étaient devenus tout corps et tout chair, il les fallait d’abord prendre par les sens, leur inculquer par ce moyen la connaissance de Dieu et l’horreur de l’idolâtrie à laquelle le genre humain avait une inclination si prodigieuse. Tel était le ministère de Moïse. Il était réservé à Jésus-Christ d’inspirer à l’homme des pensées plus hautes et de lui faire connaître dans une pleine évidence la dignité, l’immortalité et la félicité éternelle de son ame… » Et encore, « il fallait que Jésus-Christ nous ouvrît les cieux pour y découvrir à notre foi cette cité permanente où nous devons être recueillis après cette vie. Il nous fait voir que, si Dieu prend pour son titre éternel le nom de Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est à cause que ces saints hommes sont toujours vivans devant lui. Dieu n’est pas le Dieu des morts ; il n’est pas digne de lui de ne faire comme les hommes qu’accompagner ses amis jusqu’au tombeau sans leur laisser au-delà aucune espérance, et ce lui serait une honte de se dire