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temps romain avait été plus éloigné de la ville, pensez-vous qu’il eût donné lieu à cette dispute de clous, de portier et de président ? Non ; le monument eût été protégé par le silence, par l’espace, par la douce clarté de l’astre pâle dans le ciel, par le vent du soir qui soupire dans les bois.

Autre exemple encore. Rien n’est curieux à voir, à Nîmes, comme les bains des dames romaines, dans le jardin public de la ville. Ce sont des galeries voûtées, des chambres spacieuses, des bas-reliefs, des statues, tout le bien-être élégant et riche de cette civilisation asiatique, si savante dans les délices de l’Orient. Eh bien ! dans ces jardins où la poussière tourbillonne, tout rempli de ces eaux peu limpides, exposé à cet ardent soleil, le bain des dames romaines a perdu toute sa poésie. Il est impossible, en effet, de se les représenter, ces grandes dames, dans ces marbres mutilés, dans ces eaux fangeuses, dans ces grottes sans mystères, dans cette poussière, dans ce soleil. En vain vous les appelez de la voix en récitant les plus vifs passages de l’Art d’aimer d’Ovide, ou les plus molles élégies de Tibulle, rien n’obéit à ces évocations magiques ; rien ne vient, ni la maîtresse, ni l’esclave, ni la causerie romaine, ni le repas, ni les cosmétiques, ni les parfums ; ce bain, creusé là par les vainqueurs des Gaules, n’est plus qu’une école de natation à l’usage des Nîmois les moins lavés. Non certes, parmi ces baigneurs, pas un ne ressemble au protégé de M. Mérimée, Lucius Verus, prince de la jeunesse en effet, car si celui-là ressemblait à son buste, il était le plus beau des Romains.

Il y avait aussi, tout au sommet du jardin, une espèce de mausolée sans nom, une masse informe, mais belle, à force d’être grande, qui était placée là comme un vaste problème. Pour ce monument étrange et sans explication possible, chacun avait à part soi son explication, son commentaire. Mais le voisinage des hommes a été funeste à la tour Magne. Le jardinier, plus curieux que les autres antiquaires, a voulu savoir enfin ce que renfermait cette masse, et il l’a éventrée, c’est le mot, à coups de pioche. Vous pouvez voir encore cette large plaie ; heureusement le maçon n’a pas trouvé l’ame cachée dans ce corps ; il en a été pour ses peines ; cependant, ainsi démantelée et percée à jour, la tour Magne reste debout, ruine qui défie les siècles, protégée comme elle l’est par le nom et surtout par le ciment romain.

Mais le plus beau monument de la ville, le plus rare et le plus admirable mille fois, puisque le pont du Gard est à deux lieues de là, ce sont les arènes. Voilà encore une œuvre de géans. Cela s’étend au loin sous votre regard ému et charmé. Au dehors les murs éternels ont été