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tout est simple et naturel comme dans leur beauté ; point de couleurs tranchées, des robes noires et du linge blanc, moins blanc cependant que leur blanc visage. Leurs cheveux sont immenses, touffus, de cette belle couleur noire par laquelle le soleil a passé, et c’est à peine si ce large velours les peut couvrir. Ce velours est la seule coquetterie apparente de ces coquettes personnes ; il est de toutes couleurs, noir, rouge, nacarat ; les manchettes, elles en ont toutes, sont invariablement de la toile la plus fine, et avec tout cela des sourires ingénus, des regards honnêtes, une assurance calme. — À bas les antiquaires ! ils travaillent la nuit et le jour à étudier des misères ! ils perdent la vue sur des inscriptions effacées ; ils ramassent dans la poussière des temps toutes sortes de débris pour nous prouver que les Romains ont passé par-là. — Oui, certes, les Romains ont passé par-là avec des Romaines ; les princes ont passé par là tenant par la main les princesses de la jeunesse ; les uns et les autres, ils sont venus respirer cet air si pur, et, en témoignage de leur passage, ils ont laissé là mieux que des amphithéâtres, mieux que des tombeaux et des musées ; ils ont laissé ce noble sang qui n’a pas encore menti à son origine illustre. Belles filles qui passez si légères avec vos dix-huit ans et votre antique origine, vous êtes certainement le plus fier héritage et le don le plus précieux que nous aient laissé les Césars.

Au reste, tous ces conquérans passagers ont laissé ce qu’ils ont pu dans ces contrées trop voisines de l’Italie pour n’être pas quelquefois l’Italie. Charles Martel, qui a brisé tant de choses, comme c’était son métier, et comme son devoir le voulait, a laissé en ces lieux une race de petits chevaux qui descendent, dit-on, des chevaux que montaient les Sarrasins avant leur défaite. Mais ces chevaux arabes n’ont pas tenu autant que les filles romaines. Les jeunes filles ioniennes sont aussi belles qu’aux premiers jours ; sur l’échelle des êtres rêvés ou créés, elles tiennent le milieu entre les Parisiennes et la Vénus d’Arles ; les chevaux des fiers Sarrasins sont devenus d’horribles petites bêtes qui tiennent le milieu entre l’âne et le mulet.

Il était nuit quand nous avons traversé la ville d’Aix, si fière aujourd’hui d’avoir donné le jour à cet élégant et passionné plébéien d’une si haute éloquence, d’un si grand courage, ferme et honnête volonté qui a déjà renversé tant d’obstacles. De pareils hommes sont les oracles de l’avenir. Tout vivans qu’ils sont encore, on voudrait voir la maison où ils sont nés, le gazon qu’ils ont foulé, le coin du ciel où ils ont deviné leur étoile, cachée derrière l’étoile