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l’hôtellerie de Candide ne saurait se comparer à l’hôtellerie de Parme. — Nous traversons le Pô dans un bateau mouvant, l’eau était sombre et grondeuse ; nous saluons au loin le port et la plaine de Lodi ; toute notre histoire d’Italie se montre à nous, un peu effacée par les bois, par la verdure, par cette immense culture qui la couvre de son riche manteau. Voici enfin Milan, la ville à la couronne de fer ; ce n’est plus l’Italie tout-à-fait, c’est un je ne sais quoi d’italien et de français tout à la fois, très beau, très grand, et fort triste à voir. Là, tout se fait en silence, tout obéit, et même la fantaisie ; le soldat allemand, le meilleur bon homme de la terre, devient morose et taquin en Italie. Ce beau soleil lui porte sur les nerfs, cette vivace population l’attriste, toute cette joie l’afflige ; il monte la garde devant des idées, devant des espérances, devant l’avenir. Or, le moyen de se plaire à son qui vive ? quand on s’entend répondre : — qui vive ? — c’est la liberté ! — qui vive ? — c’est l’espérance ! — qui vive ? — c’est l’Italie ! — qui vive ? — c’est l’avenir, qui marche et emporte toutes choses. Belle et sainte Italie ! comme on l’aime quand on la voit heureuse ! Comme on l’aime, quand on la voit souffrante ! Qu’elle est vive dans sa joie ! qu’elle est grande dans sa douleur, et comme un peu de liberté lui va bien !

À Milan, nous courbons la tête ; on nous demande qui nous sommes ; nous disons tout bas notre profession d’écrivain dont nous sommes si fier ; et quand la police nous vient demander : — Quand partez-vous ? — nous répondons, en relevant la tête : Tout de suite, tout de suite, rien que le temps de monter sur le dôme à travers toute cette armée de marbre qui se tait encore, mais qui entonnera quelque jour l’Hosanna in excelsis de la liberté italienne. Ce dôme peuplé de tous les caprices des siècles chrétiens, de toutes les croyances des siècles politiques ; ce dôme dont la statue de l’empereur Napoléon n’est pas descendue, même quand elle descendait de la colonne ; ce dôme, c’est toute une histoire à écrire, que dis-je, c’est tout un poème ; mais laissons ce noble poème se dénouer convenablement dans les régions de l’infini. — Ainsi, encore une fois nous voilà partis. En vain Venise nous réclame et nous appelle de sa voix stridente sous le masque. — Nous irons te saluer dans ta misère un autre jour, ô Venise ! — Nous quittons Milan le même soir, non sans nous raconter toutes les beautés du Mariage de la Vierge, ce grand drame de Raphaël, non sans visiter le Léonard de Vinci de la bibliothèque, non sans nous arrêter à cet arc de triomphe du Simplon, qui s’appelle l’Arc de la Paix. À la bonne heure ! élevez des arcs de triomphe à la