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REVUE. — CHRONIQUE.

dans l’Inde des territoires immenses et cent millions de sujets. » On l’aurait sans doute traité de rêveur et de maniaque. Il n’aurait cependant dit que l’exacte vérité. Encore une fois, il est en politique des situations où il est impossible de s’arrêter. L’Angleterre se trouve dans une de ces situations ; elle ne s’arrêtera pas. Dès-lors il est impossible que ses prétentions se concilient avec les prétentions de la Russie ; dès-lors la chute de Méhémet-Ali n’est autre chose que l’enlèvement d’un des obstacles qui s’interposait entre les deux rivales et prévenaient le choc immédiat ; dès-lors ils se sont évidemment trompés ceux qui voient dans la soumission de Méhémet-Ali le gage du rétablissement d’une paix durable. C’est tout juste le contraire.

Quant à la France, sans doute cette soumission a écarté une question gouvernementale des plus sérieuses. Le gouvernement a pu dire : la Syrie est perdue, l’Égypte est respectée, la paix est rétablie, la Porte est satisfaite, Méhémet aussi ; les parties belligérantes se retirent, il n’y a plus rien à faire.

Nous en convenons, tout le monde en convient, on ne peut pas courir aux armes pour faire du pacha ce qu’il ne peut plus être. Il ne faut pas se féliciter de sa chute, mais elle est un fait irréparable. Il ne s’agit plus du pacha aujourd’hui. Il gardera l’Égypte tant qu’il le pourra ; soit. Ce n’est pas de lui qu’il faut s’occuper, c’est de la France, de la France, qui ne peut pas, sans se mentir à elle-même, se dissimuler que son influence en Orient a reçu un rude échec, que sa voix n’a pas été comptée dans les conseils de l’Europe lorsqu’il s’agissait de régler des questions qui intéressaient vivement notre dignité et notre rang dans le monde ; de la France enfin, qui, oubliant même tout ce qui s’est passé jusqu’ici, peut se trouver demain en présence d’évènemens nouveaux plus graves encore et plus décisifs.

S’il y a quelque vérité dans nos remarques, il ne peut rester dans les esprits sérieux le moindre doute sur la solution des deux questions importantes et pratiques qui résument en ce moment toute la politique du jour. Nous voulons parler de nos négociations avec l’étranger, et ensuite de l’armement et des fortifications de Paris.

Le traité du 15 juillet s’est accompli sans nous, disons-le, malgré nous. Aujourd’hui Méhémet-Ali accepte l’Égypte, rend tout le reste, et, à je ne sais quelles conditions, les alliés et la Porte garantissent au vice-roi l’hérédité du pachalik qu’on veut bien lui octroyer. Il se peut (c’est une pure conjecture de notre part, les faits nous sont inconnus), il se peut, disons-nous, qu’on propose à la France je ne sais quelles conventions, je ne sais quel conclusum, un acte final, un traité général qui l’associerait aux autres puissances pour la ratification et la garantie des résultats obtenus en Orient. Notre gouvernement doit-il se prêter à une négociation de cette nature et venir après coup, à choses faites, faites sans lui et malgré lui, corroborer de sa signature les arrangemens de l’alliance anglo-russe ? Nous ne le pensons pas. On nous a fait une position d’isolement, gardons-la, gardons-la sans faiblesse comme sans humeur ; que les autres terminent et garantissent, si bon leur semble, ce qu’ils ont fait sans nous. Pourquoi perdrions-nous l’avantage de l’isole-