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pas du Nictantès, de l’Ixia, de l’Osmonde, et autres végétations élyséennes d’une botanique beaucoup trop recherchée. M. Alex. Soumet ne paraît pas savoir qu’une langue s’appauvrit de tout ce qu’on lui ajoute, et que, s’il est permis de créer des mondes, il ne l’est pas de créer des mots.

Dans ce ciel, outre le Père et le Fils, le Saint-Esprit et la sainte Vierge, personnages indispensables et consacrés, le poète en a placé d’autres qui personnifient les vertus et les gloires humaines : Adam et Ève, Jeanne d’Arc, Dante, Milton, Raphaël, sainte Cécile, chantant le Stabat de Pergolèse, plus quelques milliers d’anges musiciens exécutant de colossales symphonies avec accompagnement d’extaséon, instrument dû sans doute à la fertile imagination de M. Soumet, car nous ne l’avons encore vu figurer dans aucun orcherstre de ce globe terraqué. Entre les rameaux touffus de ces plantes fantastiques voltigent et sautillent, au lieu d’oiseaux, les ames blanches de lait des petits enfans qui sont morts en venant au monde, et dont les yeux ne se sont ouverts qu’à la lumière céleste.

À la place de ce paradis fiévreux et convulsif, où le poète s’épuise en inventions stériles et en mignardises gigantesques, nous aurions mieux aimé un petit paradis gothique tout simple, tout naïf, dans le goût de Giotto ou de Fra Angelico de Fiesole, Dieu le père en habit d’empereur, Dieu le fils avec sa tunique et son manteau traditionnels, le Saint-Esprit, sous la forme d’un pigeon, les pieds et le bec rouges, deux ou trois collerettes de chérubins cravatés d’ailes, quelques anges à longues figures ovales, aux mains fluettes, avec des dalmatiques de brocard et de belles robes blanches se recourbant comme une écume légère autour de leurs pieds d’ivoire, jouant du kinnor, du rebec ou de la basse, une sainte Vierge bien chaste, bien candide, bien étonnée, avec ses grands yeux en amande bordés de cils blonds, exécutés un à un par l’artiste plein de foi et de patience ; le tout sur fond d’or gaufré de fers et d’impressions dans le goût byzantin. M. Taillandier, l’auteur de Béatrice, poème trop peu connu, a su parfaitement s’approprier cette sobriété calme et naïve des artistes pisans qui ont donné à la mythologie catholique des formes dont on ne doit pas s’éloigner lorsque l’on traite des sujets chrétiens, sous peine de dénaturer des types consacrés désormais, et de commettre en quelque sorte une hérésie iconographique : au lieu de celà, M. Alexandre Soumet semble avoir pris à tâche de transporter dans la poésie les conceptions désordonnées de Martin, qui sont plutôt des cauchemars de titans que de l’art véritable.