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LA DIVINE ÉPOPÉE.

sillon de mes souffrances peut s’allonger d’un pas ! Mais Sémida est trop avancée, elle fait de vains efforts pou regagner les régions supérieures ; elle tomberait sur le sein d’Idaméel comme le rossignol qui descend de branche en branche, fasciné par les yeux fauves du crapaud ou l’haleine musquée du serpent, si le Satan détrôné, si l’antique Lucifer, touché de la grace d’en haut, ne s’interposait entre le séducteur et la victime, et d’un coup de son aile puissante, ne la reportait aux sphères des pures splendeurs.

Ici commence une effroyable parodie de la Passion. Les angoisses du Gethsemani sont reproduites sur une grande échelle. Tout ce que l’imagination en délire peut inventer de plus atroce et de plus monstreux est entassé là avec une furie incroyable ; ce sont des Ossa et des Pélion de douleurs, des tortures démesurées ; on ne voit que torrens de sang, chairs bleues de meurtrissures, jets de flamme et de soufre ; la croix est une montagne de granit taillée en gibet ; un océan de fiel gonfle l’éponge d’amertume ; les dards de cent mille aspics hérissent les nœuds de la couronne d’épines, les damnés, pâles d’épouvante à l’aspect de ces terribles supplices, sentent se fondre les glaçons et les rochers de leur ame ; ils pleurent comme de simples femmes sur les souffrances de l’adorable victime, et comprennent l’énormité de leurs forfaits à la rigueur de l’expiation. Idaméel seul n’est pas touché ; il raille le divin crucifié, et, prenant une lance au fer de laquelle sont attachés les feux de neuf enfers, il la plonge et la retourne dans le flanc de la victime. Jésus-Christ, vaincu par l’insoutenable douleur de cette dernière blessure, se détache de la croix et se réfugie tout sanglant et tout mutilé dans le sein de son père, avouant que son amour n’égale pas la haine du coupable. Les cieux, sont dans la consternation de cet échec ; Sémida, plus désolée que jamais, éteint de ses larmes la flamme des trépieds… Tout à coup un épouvantable coup de tonnerre se fait entendre ; une lumière dévorante illumine jusqu’aux derniers recoins de l’infini ; Jehovah se révèle plus fulgurant encore que sur l’Horeb ou le Sina ; les trônes, les principautés et toutes les dominations angéliques attendent dans un recueillement plein de frisson et de terreur !… Le chaos n’existe plus, l’abîme est comblé, l’enfer s’est dissipé comme un brouillard du matin, et dans une brume de lumière montent des légions d’esprits transfigurés. — L’incréé s’est ouvert un instant aux regards du révolté ; il a vu ce que nulle langue ne peut redire, et sa conversion a été complète. — Ève a retrouvé son fils Caïn, désormais réconcilié avec Abel ; Sémida s’unit à son amant, qui ne sera plus jaloux