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vant de l’émeute, et eut peu de peine à calmer sa fureur. Il profita de ce moment d’ascendant pour se rendre auprès de Stratos, lui révéla les intrigues au moyen desquelles on semait la désunion entre lui et Grivas, et, après avoir convaincu l’un et l’autre, il les fit consentir à une entrevue dont le résultat fut pacifique. On ne parla plus de bombarder la ville, et la paix était rétablie quand M. Capodistrias arriva. Le tumulte dont il avait failli être témoin fit sur son esprit la plus vive impression. Il pria M. Colettis de maintenir avec soin cette paix chancelante, et le remercia de ses efforts antérieurs ; puis, assez mécontent de ce premier coup d’œil jeté dans les affaires domestiques de la Grèce, il fit voile pour Égine, où il arriva vers le milieu de janvier 1828.

À peine débarqué, il vit se presser autour de lui tous ces vaillans chefs et ces primats qui avaient présidé à la guerre de l’indépendance, et qui ne devaient leur influence sur l’esprit de la nation qu’aux sacrifices faits si souvent pour elle. Au maintien gardé par cette foule de notables accourus pour entourer, mais aussi pour connaître et étudier le chef qu’ils s’étaient volontairement donné, il eût dû comprendre quel serait son rôle nécessaire, celui d’un mandataire, et non pas celui d’un maître. On était heureux de le voir en Grèce. Les différens partis, dont la jalousie n’avait pas voulu se courber sous la loi d’un égal, se mirent avec empressement aux ordres d’un pouvoir qui ne choquait aucun amour-propre, et qui pouvait et devait employer et récompenser le patriotisme de chacun. Le président se trouvait dans une positon rare pour un homme d’état : tout le monde était prêt à lui obéir.

Avant même qu’il eût quitté la frégate anglaise qui l’avait amené d’Ancône, il avouait déjà ses sympathies russes, au grand étonnement de ceux qui l’entouraient. Devant plus de soixante personnes, il affirma que ce n’était ni de la France, ni du cabinet britannique, qu’il fallait attendre des secours réels, mais seulement de la généreuse et puissante Russie ; déclaration publique, imprévue, inutile, généralement désapprouvée, d’autant plus inconvenante, que, sur le bâtiment anglais il avait été comblé d’égards pendant la traversée.

Le lendemain de son arrivée, on procéda à son installation, et conformément à la constitution de Trézène, le nouveau président fut invité à jurer le maintien de l’indépendance hellénique. Il refusa, sous prétexte qu’il ne pouvait promettre de conserver un état de choses qui n’existait pas, et qu’il attendait l’assentiment des puissances européennes. Il repoussa de même la constitution qu’on invoquait, et exposa ses idées gouvernementales ; elles étaient simples. En lui seul devait résider le pouvoir, jusqu’à la prochaine assemblée nationale qu’il promettait de réunir au mois d’avril. La chambre législative, créée par la constitution, sanctionna les résolutions anti-constitutionnelles du président, et fut dissoute. Appelé comme dernière ressource, il voulut être maître, maître absolu : il le fut.

Qu’une seule réflexion précède l’exposé de la carrière administrative du diplomate russe. L’assemblée de Trézène, qui avait fait la constitution, avait nommé M. Capodistrias à la présidence. Infirmer un des deux pouvoirs, c’était enlever toute légitimité à l’autre. M. Capodistrias se plaça dès l’abord dans