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du traité du 15 juillet, j’ai acquis la certitude que pour rien au monde elles ne recommenceraient l’équipée de Beyrouth ; tout ce qu’elles désiraient était un rapprochement sincère avec nous, un rapprochement qui leur est commandé par leurs intérêts. Elles se méfient également, à l’endroit de l’Orient, et de l’Angleterre et de la Russie. Elles reconnaissent que sur ce point capital la France seule peut avoir des vues analogues aux leurs, le même désintéressement, les mêmes pensées d’avenir. Devions-nous repousser ces ouvertures, et, pour un moment d’erreur, sacrifier de si grands intérêts à notre juste susceptibilité nationale ? Les repousser, c’était les rejeter malgré elles dans les bras de la Russie. Les hommes sont ainsi faits. Le refus de la France leur aurait paru une sorte d’hostilité à leur égard. Crainte de se trouver un jour abandonnés par les uns et par les autres, elles auraient à contre-cœur resserré les liens du 15 juillet. La Russie a tout fait pour les détacher de nous ; nous pouvions, par un traité qu’on nous offrait, qu’on nous demandait instamment d’accepter, les détacher au fond de la Russie et les ramener à nous ; devions-nous perdre l’occasion de défaire ce que le cabinet russe avait fait ?

Est-ce là réellement le fond des choses ? Nous l’ignorons complètement. Nous disons seulement que, si cela était, il serait difficile, impossible peut-être pour le ministère, de mettre ces considérations dans toute leur lumière à la tribune nationale par des discours officiels. Nous disons que, réduits à défendre le traité par la teneur de son dispositif, les ministres se trouveraient chargés d’une tâche bien scabreuse, car, encore une fois, nous ne pouvons pas croire que le traité renferme des stipulations importantes, et moins encore des concessions à la France, à la politique qu’elle a soutenue jusqu’au 29 octobre. Encore une fois, le traité ne pourra être défendu ni par des résultats directs qu’il n’aura pas, ni par ses résultats indirects, résultats qui, fussent-ils réels, ne pourront être prouvés ni développés à la tribune.

Quoi qu’il en soit, dans ce moment la question est encore de savoir si le traité sera effectivement conclu et ratifié. L’affaire turco-égyptienne, quoi qu’on en dise, n’est pas terminée. Le gouvernement français ne peut, dans aucune hypothèse, accepter un ordre de choses qui ôterait à Méhémet-Ali même le bénéfice de la soumission, et qui pourrait, d’un instant à l’autre, faire éclater de nouveaux troubles en Orient. Que deviendrait dans ce cas le traité du 15 juillet ? Est-il certain, est-il dit, est-il stipulé que l’Europe demeurerait étrangère à ces débats ? que les forces des signataires du traité du 15 juillet n’iraient plus, quoi qu’il arrive entre la Porte et le pacha, prêter un funeste secours à l’impuissance de la première ? C’est là un point capital, car, si le contraire pouvait arriver, il ne serait plus vrai que le traité du 15 juillet est un fait consommé, et la France, en signant un traité quelconque relatif à l’Orient, se trouverait avoir implicitement signé ce déplorable traité. Nous espérons que le cabinet sentira toute la force de cette observation, et qu’il ne songera pas à engager le pays dans une pareille route. Le pays ne tarderait pas à reculer d’indignation. Quel que soit le traité qu’on nous annonce, la première question, la condition sine quâ non, est celle-ci : Le traité du