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les bardits du Nord, les ballades galloises et les rimes de nos trouvères. Le succès de l’Histoire de la Conquête de l’Angleterre par les Normands fut immense ; il surpassa les espérances du jeune écrivain.

Toutefois, ce qui constitue surtout le mérite et l’originalité de cette histoire, l’application heureuse et fréquente du principe fécond et vrai de la distinction des races, a été, par la prédominance un peu exclusive que lui accorde l’auteur, l’occasion de quelques critiques. Si un grand nombre de questions obscures reçoivent une explication inattendue de cette nouvelle lumière historique, il est d’autres questions où l’antagonisme des races ne se montre que comme un élément secondaire. Peut-être, dans quelques parties de l’Histoire de la conquête de l’Angleterre, M. Thierry a-t-il un peu trop subordonné les élémens principaux à cet élément qui n’est pas toujours le premier. Ainsi, pour citer un des épisodes les plus frappans et les plus dramatiques de cette histoire, dans la longue querelle de Henri II et de Thomas de Canterbury, dans cette lutte de deux grands principes, dans ce duel à mort de l’autorité civile et de l’autorité religieuse, les intérêts de races n’eurent, en réalité, qu’une part assez restreinte. L’habile historien n’a pas manqué, sans doute, d’indiquer les autres intérêts, les autres passions, qui animaient les acteurs de cette sanglante tragédie, dont le dénouement fut l’assassinat d’un archevêque par un roi ; cependant M. Thierry n’a peut-être pas assez montré toute la grandeur de la tâche qu’entreprit Thomas Becket, ce saint dont le tombeau au moyen-âge fut presque aussi visité que le Saint-Sépulcre, non pas seulement parce qu’il était de race saxonne et qu’il avait défendu les intérêts saxons, mais parce qu’il se montra le champion intrépide de l’église universelle, alors abandonnée par la papauté, et le défenseur populaire des libertés du genre humain. D’ailleurs, ce n’est que dans un très petit nombre de cas qu’on peut regretter que M. Thierry fasse prédominer son idée favorite de l’opposition des races. Presque toujours l’usage qu’il fait de ce principe l’amène aux plus heureuses restitutions, et lui permet de rendre à des faits restés insignifians jusqu’à lui une physionomie vivante et nouvelle.

Malheureusement, par suite d’un si dur labeur, sa santé s’était détruite, sa vue s’était éteinte ; son courage seul ne fléchit pas. Apres un voyage en Suisse et en Provence, il se remit, dès les premiers mois de 1826, à de nouvelles études. Mais il lui fallait lire par les yeux d’autrui et dicter au lieu d’écrire. « La transition toujours si rude d’un procédé à l’autre, dit M. Thierry, me fut rendue moins pénible par les soins empressés d’une amitié dont le souvenir m’est