Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/395

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
391
L’ÉCOSSE.

cure de France et du Journal des Savans. L’Edinburgh Review, qui est encore aujourd’hui le meilleur recueil critique de la Grande-Bretagne, les suivit, vers 1804, dans ce chemin récemment frayé. Ses premiers pas furent des pas de géant. On vit avec surprise un petit groupe de jeunes écrivains, inconnus la plupart, se jeter intrépidement à la suite de l’esprit humain qui, vers cette époque, tendait au mieux avec tant de fougue et de persistance. La première moitié du XIXe siècle sera peut-être la grande époque littéraire et scientifique de l’Angleterre, et grace aux écrivains de talent de la revue écossaise, la critique, depuis quarante ans, a marché de pair avec la philosophie, la poésie et la science. Il y avait loin en effet des premiers articles de l’Edinburgh Review aux historiettes moitié morales, moitié frivoles, et à la critique superficielle et bornée du Spectator et du Lounger. Le succès de ce recueil fut prodigieux[1], et comme, dans le principe, les écrivains de cette revue parlaient sans contradicteurs, leur influence fut immense. Ils opérèrent une sorte de révolution sociale en Écosse, en renversant les barrières qui séparaient les gens de lettres et les savans des gens du monde, et en leur donnant ce droit de bourgeoisie dont ils jouissaient depuis si long-temps en France, et qu’en Angleterre ils n’ont pu encore conquérir. Le goût des lettres et des sciences philosophiques, déjà naturel aux Écossais, devint une passion. L’Athènes du nord se transforma en une sorte de vaste académie, où les questions littéraires et scientifiques du jour furent discutées avec le même intérêt que les questions politiques et industrielles. Édimbourg, le centre du mouvement, devint le Birmingham de la littérature. De 1804 à 1810, la production littéraire fut doublée, et la consommation s’accrut dans les mêmes proportions.

Le mystère qui dans le principe voilait la publication de l’Edinburgh Review, le mordant et la vivacité de sa critique à la fois personnelle et philosophique, le choix de ses articles, la diversité des sujets qu’ils embrassaient, cette sorte d’indépendance d’opinions que professaient les dix ou douze hommes supérieurs qui la rédi-

  1. L’Edinburgh Review s’imprimait, au bout de trois ans, à plus de douze mille exemplaires. Depuis, malgré la concurrence, ce nombre augmenta encore. On a calculé que les revues et magazines de toute espèce qui se publient dans les trois royaumes répandaient deux cent mille exemplaires au moins par trimestre. Beaucoup de ces recueils sont mensuels. L’Angleterre ne peut suffire seule à toute cette consommation ; l’Inde et surtout les états de l’Amérique du Nord leur offrent de vastes débouchés.