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l’esprit d’industrie et d’expédient. Les ouvriers et le contre-maître de Ben-Arach furent déconcertés ; ils perdirent confiance et ils perdirent crédit. Les Arabes ne crurent plus à une science qui avait besoin de tant de secours et de tant d’aides divers. Guillaumin découragé voulut quitter Abd-el-Kader, et, comme on le retenait presque captif, il s’enfuit ; mais il fut assassiné dans le désert.

Un autre renégat français vint remplacer Guillaumin auprès d’Abd-el-Kader. Celui-là était le contraire de son devancier, il n’avait que la théorie des sciences ; il avait tout appris dans les livres, et au nom de ses livres promettait monts et merveilles. Ainsi, l’émir a eu d’abord affaire aux deux défauts opposés de notre civilisation, la routine qui se trouble dès qu’elle ne retrouve plus ses habitudes, et la théorie bavarde et présomptueuse, qui croit savoir tout faire parce qu’elle n’a jamais rien pratiqué. La fièvre européenne des travaux publics sembla un instant avoir gagné les Arabes. Le renégat français, qui, pour mieux témoigner son dévouement, avait voulu porter le nom d’Abd-el-Kader, allait cherchant les chutes d’eau pour établir des usines, sondait les terres pour découvrir des mines, mesurait, alignait des terrassemens ; puis, quand il fallut construire un fourneau pour fondre le minerai, il savait fort bien, il est vrai, de quelle manière le fourneau devait être construit pour perdre le moins possible de chaleur ; mais il ne put pas fabriquer de bonnes briques pour faire son fourneau. On prétend cependant que, grace à un vieil ouvrier maure qui savait de père en fils l’art de fabriquer la brique, la civilisation est parvenue à construire son fourneau, et que l’émir a aujourd’hui une fonderie et une fabrique d’armes.

Le propre de cette civilisation vanteuse et gasconne qui s’est introduite auprès d’Abd-el-Kader, c’est de faire fermenter les imaginations. C’est ainsi qu’un autre renégat français, qui semblait remplir auprès d’Abd-el-Kader les fonctions de publiciste, et qui lui traduisait, dit-on, quelques-uns des articles de nos journaux, lui avait suggéré l’idée d’une ambassade et d’une alliance avec la Russie : tant il est vrai que les idées les plus chimériques et ce don de faire croire à l’impossible, qui est un des talens de la politicomanie moderne, ont déjà été essayés auprès d’Abd-el-Kader. Le malheur pour ces chefs à moitié barbares de l’Orient ou de l’Afrique qui veulent être civilisés, c’est qu’ils ne peuvent pas, faute d’expérience, pénétrer le vide de tous les projets qui les assaillent. Cherchant à expliquer les mœurs et les idées européennes, qu’ils ne connaissent pas, par les mœurs et les idées de l’Orient, ils font, quelle que soit