Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/486

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
482
REVUE DES DEUX MONDES.

disciples. L’introduction de M. Paget n’est qu’une analyse exacte jusqu’au scrupule de l’un des écrits du révélateur. M. Paget est particulièrement chargé d’exposer le plan économique et industriel du système. La discussion métaphysique paraît attribuée à M. de Pompery, dont le ton est élevé et l’argumentation subtile. Le Fou du Palais-Royal s’adresse aux gens du monde Ce livre a la vivacité et le piquant nécessaires pour tenir en éveil les esprits paresseux. Il ne faudrait pas toutefois que l’auteur s’exagérât la valeur philosophique de son œuvre. La forme dialoguée, qui a beaucoup de charme est la moins concluante ; cette forme laisse trop sentir qu’on peut se ménager facilement la victoire quand on est maître du terrain, et qu’on commande la manœuvre de ses adversaires. Le socialisme transcendant, les problèmes de haute harmonie, sont du ressort de M. Considérant. Il règne dans la Destinée sociale un ton provocateur qui ruinerait le livre, si l’auteur n’avait pas eu la prudence de dire, dans la préface du second volume, que l’humeur colérique et sauvage qu’il a manifestée ne lui est pas naturelle, qu’elle n’est de sa part que l’effet d’un calcul, et qu’il en est de même pour les bizarreries et les digressions qu’il se reproche tout le premier. Il est évident que M. Considérant a voulu brusquer le public pour s’en faire remarquer. Il y avait un moyen plus digne et plus sûr de captiver l’attention : c’était de multiplier les pages rapides, colorées, et vraiment séduisantes, car on en trouve de ce genre dans la Destinée sociale[1], et on les relit avec d’autant plus de plaisir, qu’on se félicite de sentir parfois dans le style la jeunesse qui est souvent trop apparente dans les idées.

Les novateurs ont recruté beaucoup d’adhérens ; je ne m’en étonne pas : ils font une critique violente de tout ce qui existe et promettent un bonheur ineffable « qui doit se répandre comme un embrasement sur la terre », dès qu’on aura adopté leurs systèmes. Cette manœuvre est celle de la plupart des hommes politiques dont le but principal est leur avancement personnel ; mais elle me semble peu digne de ces philosophes qui, ne voulant amener que le règne du bien, devraient, avant tout, donner l’exemple de la bonne foi. Est-il loyal d’enregistrer toutes les misères, d’aigrir toutes les plaies en les exposant au grand jour ? Le mal existe dans l’ordre actuel, qui le nie ? Mais n’y a-t-il pas des compensations ? Ne serait-il pas juste de faire la part du bien ? En bonne conscience, ce n’est pas absolument qu’il faudrait juger les sociétés, mais relativement et par comparaison à ce qui a existé en d’autres pays et à d’autres époques. L’amélioration progressive des choses de ce monde est le ressort de l’activité humaine ; si les utopies, réalisées par enchantement, nous donnaient tout à coup le bonheur absolu, ce serait l’immobilisation de l’humanité ; la satisfaction certaine, entière, immédiate des désirs, si elle était possible, deviendrait un supplice infligé à l’homme. En dépit du sens commun, ces promesses de félicité idéale ont toujours fait impression sur les esprits malades ou irréfléchis. Je ne suis donc pas surpris que les réformateurs de

  1. Ouvrez, par exemple, le second volume, à la page 182.