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d’abord, puis son costume, véritable équipage d’Hadjoute ou de Bérébère. C’était merveille de le voir se complaire avec amour dans sa double nature de grand chanteur et d’Africain parfait. Comme il sculptait chaque phrase, comme il en caressait les moindres tours ! Et d’autre part comme il se drapait noblement dans son ample burnouss ; comme il jouait avec la lame de son bon poignard de Damas, poignard démesuré, gigantesque, et qui n’avait que le tort de rappeler le trop célèbre mot de Cicéron ! Jamais plus grand chanteur n’eut la face plus noire et le manteau plus blanc. Si c’était un défi de costume que Duprez ce soir-là voulait porter à Rubini, Duprez a triomphé, et personne sans doute ne lui contestera cette gloire. Auprès de tant de luxe, de vérité, de caractère, auprès de ce roi de Maroc et de Tunis, de ce bey de Titteri et de Mascara, Rubini, avec sa veste brodée, son pantalon de mameluck, son turban feuille morte, Rubini n’est qu’un jongleur indien, qu’un bateleur de la trempe de Garcia. Malheureusement, et quoi qu’on en puisse dire, à l’Académie royale de Musique, le burnouss ne fait pas l’Otello, pas plus que l’habit ne fait le moine. — Quant au dernier duo, nous lui devons des actions de graces pour avoir mis fin à cette malheureuse et trop longue parodie du Théâtre-Italien. On sait quel chef-d’œuvre est ce morceau ; comme cela s’anime et s’emporte ! comme le maître a rendu cette action terrible de jalousie et de mort, ce drame ténébreux qui se consomme au fond d’une alcôve, au milieu des éclairs et de l’orage ! Il faut, pour exprimer cette scène, la dernière de la tragédie et la plus véhémente, cette scène toute de paroxisme et de frénésie d’une part, de l’autre de terreur et de mélancolique désespoir, il faut non-seulement une grande passion, une voix sublime, mais encore une force physique surhumaine. Or, en arrivant là, Duprez succombait ; à peine si dans les premières mesures on l’entendait au-dessus de l’orchestre. Pour ce qui regarde Mme Stoltz, franchement il vaudrait mieux n’en point parler. Que dire, en effet, de cette intonation, de ce style, de cet aplomb imperturbable, de cette sérénité radieuse que nul écart ne déconcerte ? Mme Stoltz n’a certainement jamais entendu ni la Pasta, ni la Malibran, ni la Grisi, dans ce rôle de Desdemona. Où donc la cantatrice de l’Opéra a-t-elle pu trouver cet accent vulgaire et trivial qu’elle donne à ces mots de perfido, ingrato, à cette apostrophe suprême que la Malibran disait avec une si déchirante expression de tendresse et de reproche ? Et cette phrase de Iago, un vile traditore, ce dernier cri de l’épouse courroucée, où la Pasta se montrait si fière et si noblement indignée, de quel ton Mme Stoltz l’a rendue ! En vérité, de semblables erreurs ne se discutent pas, et nous oublions que ni la Malibran ni la Pasta n’ont rien à voir en cette affaire. Et c’est une cantatrice de ce rang que l’administration propose à M. Meyerbeer, comme s’il pouvait entrer dans la pensée de l’auteur des Huguenots et de Robert-le-Diable de laisser aux chances d’un pareil hasard une de ses œuvres lentement élaborées qu’il environne de tant de soins et de sollicitudes ! Cette fois, l’illustre maître ne fléchira pas. Il s’agit pour lui de trop grands intérêts. On aura beau multiplier les annonces, engager sa responsabilité vis-à-vis du