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lui était naturelle, et qu’il passa souvent le but à force de zèle. C’était une grande question politique dans les siècles catholiques que celle du plus ou moins de richesse des ordres religieux. En diminuant la rigueur de la règle, les grands monastères étaient devenus des institutions puissantes qui jouèrent un grand rôle dans la société confuse du moyen-âge, et qui furent souvent très utiles. Il était sage de poursuivre les désordres qui s’y étaient glissés, mais il était peut-être imprudent de substituer trop complètement à l’esprit de grandeur l’esprit d’humilité. C’était bouleverser l’état social de l’époque, lui enlever un de ses principaux élémens, et le laisser ainsi sans pondération et sans équilibre.

De tous les ordres monastiques, les ordres mendians sont ceux dont l’utilité peut être le plus contestée, et dont l’institution est le plus ouvertement en lutte avec les formes ordinaires de la société humaine. Ce sont aussi les ordres mendians que Ximenès s’efforça de ramener à la rigueur de leur principe, et qui sont devenus, grace à lui, dominans en Espagne. Or, rien n’était plus propre à éteindre dans une nation tout élan vers les biens de ce monde, que cette armée de frères grossiers, vagabonds, mal vêtus, qui se répandaient partout, prêchant la frugalité, la soumission, l’isolement, et rendant la misère sainte aux yeux des populations. Les peuples du midi sont trop naturellement disposés à la paresse pour qu’il puisse être indifférent de consacrer à leurs yeux la mendicité. Les ordres mendians ont marqué de leur empreinte toutes les habitudes de l’Espagne ; leur esprit a pénétré partout, et ce qui devait être une exception rare parmi les hommes, est presque devenu la règle des mœurs nationales. Un homme d’état plus occupé des intérêts terrestres aurait peut-être prévu cette facile contagion de l’exemple ; il aurait mieux aimé tolérer quelques abus, et conserver aux antiques corporations le caractère de magnificence qui pouvait être moins conforme à la pensée de leur fondation primitive, mais qui était plus en rapport avec les progrès de l’activité publique, et qui aidait à l’excitation générale vers le grand.

Quoi qu’il en soit, Ximenès donna bientôt une nouvelle preuve de cette intempérance de volonté qu’il mettait à toute chose, et s’il peut y avoir quelque doute sur le jugement à porter de sa réforme des établissemens religieux, il ne peut pas en être de même de cette autre mission qu’il se donna avec non moins d’obstination et d’emportement, la conversion des Maures.

Depuis la prise de Grenade, les Maures vivaient en paix sur la foi