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se trouve précisément que la grande preuve de M. Buchez, savoir qu’Aristote a emprunté à Gotama la théorie du syllogisme, fait avéré, dit M. Buchez, est contredit de la façon la plus formelle par les derniers travaux des orientalistes. Mais ce fait avéré, qui n’a jamais été probable, s’il était vrai, ne prouverait rien. Le syllogisme n’est pas toute la logique d’Aristote ; la logique d’Aristote n’est pas, il s’en faut bien, la partie principale de la doctrine péripatéticienne, et enfin les péripatéticiens ne sont pas toute la philosophie grecque. Il est vrai que M. Buchez regarde le syllogisme comme l’unique méthode des Grecs. Suivant lui, il y a entre la doctrine de la chute de l’homme, qui est, à ce qu’il prétend, le caractère spécifique du paganisme (en faisant sans doute abstraction du péché originel), il y a entre la doctrine de la chute de l’homme et l’usage du syllogisme un rapport nécessaire et inévitable. Ceci est d’une profondeur tout-à-fait inaccessible. Le raisonnement n’a que faire contre des assertions pareilles mais les faits, il faut l’avouer, sont embarrassans, car Platon croit à la chute de l’homme, et il n’emploie pas le syllogisme ; Aristote emploie le syllogisme, et il ne croit pas à la chute de l’homme. M. Buchez ne sauve qu’à demi cette difficulté en soutenant que Platon et Aristote n’ont qu’une seule et même méthode : la méthode du syllogisme, connue, à ce qu’il paraît, et pratiquée par Platon et par toute la Grèce, avant qu’Aristote l’eût tirée du Nyaya de Gotama. Quoi ! Aristote se fait envoyer une nouvelle méthode du fond de l’Asie, et il ne s’aperçoit pas que c’est la méthode même de son maître, qu’il a étudiée pendant vingt ans dans l’école de Platon, et qu’il a passé le reste de sa vie à combattre ? Est-il possible, à quelqu’un qui a lu quelques lignes de la Métaphysique et du Parménide, de confondre la méthode de Platon avec celle d’Aristote, et d’appeler tout cela le syllogisme ? M. Buchez confond aussi le système de Démocrite et celui d’Épicure, et au moins y a-t-il à cela quelque apparence. Il trouve cependant entre ces deux doctrines une différence, une seule, mais qu’on ne saurait lui passer ; c’est qu’Épicure, au terme d’εἴδωλα dont se servait Démocrite, a substitué le mot péripatéticien de species. Hélas ! Épicure parlait-il donc latin ? Et faut-il rappeler à M. Buchez une remarque fort judicieuse, que l’on trouve consignée quelques pages plus loin dans son livre ? C’est qu’à la vue d’un objet blanc, un Français dira : C’est blanc ; et non pas : Album est ?

Avec Platon et Aristote, M. Buchez ne cite guère parmi les Grecs que Timée de Locres et Ocellus Lucanus ; cela se conçoit, leurs prétendus ouvrages sont très courts, et ils sont traduits. Il est vrai que