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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

« Toutes les autres alliances qui se présentent tant à la France qu’à l’Allemagne, ne peuvent conduire à cet heureux résultat, vers lequel le monde semble se diriger et à qui les hommes semblent s’opposer de toute la force de leur ignorance ou de leurs passions. L’alliance anglo-française n’a abouti qu’à des mécomptes et à l’inimitié entre la France et l’Angleterre ; l’alliance franco-russe mettra la France à la queue de la Russie, et n’aboutira qu’à la réalisation des plans égoïstes et barbares de la Russie. Pour l’Allemagne, l’Angleterre ne sera un allié dévoué que si l’Allemagne se résigne à faire les affaires de l’Angleterre, à l’aider dans ses projets de monopole, d’égoïsme et d’absolutisme maritime. Une alliance allemande-russe fera de l’Allemagne l’avant-garde des idées russes, de l’absolutisme et de la barbarie, comme aujourd’hui la Prusse et l’Autriche le sont sous beaucoup de rapports. Ainsi donc, ces deux peuples ne trouveront ni l’un ni l’autre une alliance particulière qui leur permette d’espérer, même pour leur égoïsme, pour leurs intérêts matériels, un résultat satisfaisant. »

L’alliance entre la France et l’Allemagne est la seule qui leur convienne à toutes deux, car elle n’est pas basée sur l’intérêt égoïste de l’une ni de l’autre. La France ne peut pas espérer exploiter l’Allemagne, ni l’Allemagne abuser la France ; elles sont toutes deux assez grandes pour se forcer à se respecter l’une l’autre. Elles ne pourront se rendre justice mutuellement, et c’est pourquoi elles ne seront ni l’une ni l’autre injustes à l’égard des autres peuples. La base de leur alliance sera donc presque forcément celle de la justice pour elles-mêmes et de la justice pour toutes les autres nations ; et avec cette base, l’humanité sera constituée.

Dans sa seconde brochure, M. Venedey revient plus en détail sur cette alliance de l’Allemagne et de la France ; seulement il me paraît qu’il discute avec plus d’âpreté que dans la première la question du Rhin, et je trouve là un chapitre sur l’Alsace qui m’étonne de la part d’un homme qui cherche à se poser comme un esprit impartial. « Il y a à Strasbourg, dit-il, à Colmar et dans les autres villes de l’Alsace, un assez grand nombre de personnes qui parlent à la fois allemand et français. Le peuple en masse ne connaît ni l’une ni l’autre langue, et parle un patois composé de neuf dixièmes d’allemand et d’un dixième de français, un patois sans logique, sans intelligence, sans expression pour les besoins de l’esprit, organe seulement de l’instinct matériel, de la nécessité. Le langage populaire de l’Alsace est de deux ou trois siècles en arrière de la plupart des dialectes allemands, et je ne crains pas de soutenir avec hardiesse que, sous tout autre rapport, l’Alsace entière est au moins d’un siècle en arrière de l’Allemagne. La langue est toujours le véritable thermomètre du degré de culture intellectuelle d’un peuple, et l’Alsace confirme cette vérité. Dans cette province, la société la plus distinguée se compose de Français et d’Alsaciens francisés ; là, on retrouve en grande partie le ton de Paris, autant qu’il peut se reproduire dans une ville de province. Le monde des salons prend pour modèle les cercles français, et tout ce qui s’en éloigne,