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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

nation, de penser avant de rien exprimer, d’examiner mûrement chaque question, d’exécuter les plans que l’on a formés, et en un mot de travailler. »

Un peu plus loin il écrit : « Je suis devenu trop négligent ; il est nécessaire, pour atteindre honorablement mon but, d’agir avec plus de force. Aussi long-temps que l’on saisit les objets par les sens plus que par l’intelligence, il est impossible de les envisager clairement. Les mots sont pour moi des abîmes dangereux que souvent je ne puis franchir. Oh ! comment arriverai-je à la pensée libre, intime, profonde ? comment briser le talisman qui me tient encore enchaîné sous le joug de l’imagination ? Chaque matin donc, une heure au moins sera employée à m’éclairer sur un sujet déterminé, deux heures seront consacrées aux mathématiques, à l’algèbre, à la chimie, à la physique. »

Le désir de voir un des pays dont il s’était le plus occupé, d’entrer dans l’étude pratique des hommes après avoir employé tant de temps à celle des livres, le détermina à quitter l’honorable position que le comte de Schimmelmann lui avait faite à Copenhague et à voyager. Il partit en 1798 pour l’Angleterre. Voici le plan de travail qu’il se proposait en quittant les rives de sa terre natale. Sterne eût été obligé de faire dans sa catégorie des voyageurs une place à part pour cet observateur ambitieux.

« Par la lecture, dit-il, et les renseignemens, je m’efforcerai d’acquérir une idée suffisante de la constitution, une connaissance complète de la topographie. J’étudierai le système des poids et mesures en usage en Angleterre ; le caractère, le talent, la vie des hommes distingués ; je recueillerai les établissemens scientifiques, les écoles, l’éducation, sur la manière de vivre des différentes classes, sur les impôts, sur l’armée et la flotte, sur la banque et le commerce, sur toute la littérature, les écrivains, la librairie, sur l’Inde orientale et occidentale.

« Dans la bibliothèque de Dalrymple, étudier les livres relatifs à l’Inde, dans l’ordre suivant : sur la nation indienne, antiquités, histoire, caractère national ; histoire de l’empire Mogol avant et depuis sa chute ; description des diverses contrées ; sur la compagnie, ses chartes et priviléges, direction, commerce et affaires européennes ; établissemens indiens, leur constitution et administration. »

Ce plan d’étude et d’observation qui ressemble si peu à celui que la plupart des voyageurs s’imposent en se dirigeant vers les contrées étrangères, Niebuhr le suivit scrupuleusement. Il visita les écoles, les établissemens littéraires et scientifiques, fit connaissance avec quelques-uns des hommes les plus distingués de l’Angleterre et de l’Écosse, et retourna en Danemark, rapportant du pays qu’il venait de parcourir un nombre considérable de documens recueillis avec soin, de notions exactes et variées.

De retour à Copenhague, il est investi de deux emplois assez faiblement rétribués ; mais, comme l’a dit le poète :

Peu suffit aux désirs du sage.