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mouvement d’indignation que l’hommage éclatant rendu ensuite à la beauté du pays et de la nature n’a pu apaiser. La colère dure encore ; toute l’île en a retenti. Le journal du lieu, la Palma, dans une longue invective adressée à George Sand, vient de venger, en termes fort gros et tout-à-fait proportionnés à la distance, la dorée Baléare contre les prétendues injures qu’elle aurait reçues du peintre héritier de Rousseau. On ne se figurerait pas le degré de représailles auquel s’est portée dans cet article la galanterie majorquine piquée à son endroit de petite ville : cela ne se traduit pas en français. Un moine défroqué trouverait de ces aménités-là. Nous regrettons vraiment que les littérateurs majorquins aient jugé à propos de joindre cette pièce justificative à l’appui de ce qu’on avait écrit d’irrévérent sur les naturels du lieu. George Sand indiquait d’honorables exceptions : c’était aux gens d’esprit à s’y mettre. Nous aimons à penser qu’il y en a, et que plus d’un gentilhomme de là-bas aura rougi de cette manière d’entendre et de venger, à la face de l’Europe, l’honneur majorquin.


— L’Amour impossible, chronique parisienne, par M. Jules Barbey d’Aurevilly[1], est un petit roman très spirituel, très raffiné, très moderne, dans le genre de M. de Balzac, quand il observe, ou plutôt de M. Charles de Bernard. L’auteur, en beaucoup de pages brillantes, et en plusieurs situations très bien saisies, est déjà passé maître. Il s’agit d’une femme à la mode, d’une lionne qui vole son amant à une autre femme de ses amies, et qui, pourtant n’en profite guère ; car elle et lui sont blasés, et ils ont beau faire, ils ne peuvent s’aimer. Le style, le langage, le costume et les mœurs de cette nouvelle sont du dernier moderne ; la mode y joue un grand rôle, le jargon n’y est pas étranger. L’auteur fait preuve d’assez de fonds et de talent propre, pour devoir se débarrasser au plus vite de ce qu’il y a d’étrange et de passager dans ces dialectes qui ne durent qu’une ou deux semaines : il peut, en étant plus simple, prétendre à des succès durables. Il y a des scènes charmantes, le moment, par exemple, où Mme d’Anglure, la femme volée, entre à l’improviste chez sa rivale pour lui reprendre l’amant déjà tombé à genoux, et qui n’a que le temps de se relever. Mme d’Anglure, douce, pure, aimante, espèce de beau camélia blanc élancé, un peu sotte, disent les méchans, mais passionnée, est une heureuse figure. Elle meurt de douleur. Sa brune et fière rivale, Mme de Gesvres, est un peu trop peinte en panthère, et a trop de cambrures ; faite comme elle est, et fait comme l’est aussi M. de Maulevrier, on ne comprend pas pourquoi, tout en croyant l’amour impossible, ils n’en poussent pas l’expérience jusqu’au bout : c’est là, dans la conclusion de la nouvelle, une grave invraisemblance. Je soupçonne l’auteur, qui m’a l’air très

  1. Delanchy, faubourg Montmartre, 11.