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DE L’ARIANISME.

s’éleva non pas contre des hérétiques, mais contre les païens et les juifs. Philosophe, il s’était fait chrétien, et il se proposa de se porter médiateur entre le platonisme et l’Évangile. Selon Justin, Jésus est le Logos de Dieu sous une forme particulière, le Logos personnifié. Toute sagesse humaine est une émanation, une communication du Logos ; la philosophie païenne l’est aussi d’une manière imparfaite et tronquée : dans la plénitude des temps, le Logos divin a paru lui-même. Mœhler, malgré son désir de trouver Justin parfait catholique, est obligé de convenir que ce martyr a dans sa doctrine plusieurs parties faibles. Ses définitions sont incomplètes ; les argumens et les termes dont il se sert s’éloignent parfois des formules et des expressions employées par l’église. Tatien et Athénagore prodiguent aussi dans leurs écrits les formes platoniciennes qui permettent parfois d’élever des doutes et des controverses sur le fond même de leurs pensées.

Mœhler, qui évidemment dans cette partie de son livre continue Bossuet travaillant à réfuter Jurieu, ne craint pas d’affirmer que pendant les deux premiers siècles la doctrine constante et générale de l’église reposait sur ces trois points : 1o le Christ, vrai fils de Dieu, est vraiment Dieu et un avec le père ; 2o il est une personne différente du père, le créateur du monde, et par conséquent celui qui a de tout temps révélé le père, et qui, dans la plénitude des temps, s’est fait homme ; 3o le Saint-Esprit est considéré et adoré comme une personne divine. Voilà la croyance : quant aux preuves, spéculatives et bibliques sur lesquelles on l’appuyait, Mœhler est obligé de convenir qu’elles ne sont pas toujours bonnes. Les expressions des premiers pères manquent souvent aussi d’exactitude et de clarté ; mais il ne faut ni juger trop sévèrement ces expressions et ces preuves, ni vouloir en tirer des inductions contraires à l’orthodoxie. En un mot, la croyance était orthodoxe, mais l’explication de la croyance était souvent défectueuse.

Est-il bien possible (comme le veut l’écrivain catholique) de tracer une ligne de démarcation aussi tranchée entre la croyance et les explications dont elle était l’objet ? Nous accordons qu’au fond des catacombes ou au pied des autels informes élevés à la religion nouvelle, la foi était simple et naïve ; mais quand il s’agissait de justifier cette foi contre les attaques des soutiens de la sagesse païenne, de la confirmer dans l’esprit des hommes savans qui avaient quitté le portique, l’académie ou le lycée, pour suivre les drapeaux du Christ, alors nécessairement le christianisme recourait aux formules abstraites