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çait gravement sous un dais porté par quatre hommes, et qui représentait la reine Rhétorique elle-même.

Les chambres de rhétorique se propagèrent dans toute la Hollande et la Belgique. Bientôt les villages mêmes voulurent en avoir une, et chaque ville en eut plusieurs. On en comptait trois à Amsterdam, quatre à Anvers, quatre à Bruxelles, trois à La Haye et à Harlem, quatre à Gand, six à Louvain ; bref, vers le milieu du XVIe siècle il y avait dans les Pays-Bas près de deux cents chambres de rhétorique ayant leur devise, leur blason, leurs doyens et leurs poètes. Les plus anciennes s’arrogeaient le droit de donner des statuts et des privilèges aux plus jeunes. C’étaient des métropoles littéraires autorisant des succursales. En 1493, l’archiduc Philippe, père de Charles-Quint, créa à Gand une chambre suprême de rhétorique, dont il donna la direction à un chapelain. Cette chambre s’appelait : Le divin et révéré nom de Jésus avec la fleur de beaume. Elle devait se composer de quinze membres et de quinze jeunes gens qui seraient tenus d’apprendre l’art de poésie. En outre, il fut décidé que pour honorer notre seigneur Jésus-Christ et la Vierge Marie, on admettrait dans cette religieuse association quinze femmes en mémoire des quinze joies de la sainte Vierge. C’était ainsi que ce pieux moyen-âge se dévouait à l’étude des lettres. Il choisissait un prêtre pour président d’une académie, il plaçait la poésie sur l’autel, la couronne de lauréat dans l’église, et dans sa galanterie même envers la femme il exprimait une pensée de dévotion, il songeait à la mère de Dieu.

Les guerres cruelles du XVIe siècle portèrent un coup funeste aux chambres de rhétorique. En Belgique, le duc d’Albe, croyant voir surgir dans leur sein des germes de protestantisme, les écrasait de sa main de fer. En Hollande, la nation entière, armée pour défendre sa liberté politique et religieuse, ne pouvait plus guère songer à ces naïves idylles d’autrefois. Les unes devinrent tout simplement d’honnêtes confréries de paroisse qui conservèrent un privilège de préséance dans les processions et le droit d’assister en grande pompe aux fêtes de l’église. D’autres servirent à former de nouvelles associations plus sérieuses et plus utiles, notamment celle qui, en 1766, prit le titre de Société de littérature néerlandaise, et qui subsiste encore. D’autres enfin se transformèrent en clubs et en sociétés de lecture. Leurs membres se réunissent chaque soir avec une ponctualité hollandaise dans une salle inondée de journaux. Au lieu de représenter comme autrefois des drames bibliques, ils assistent par la pensée au grand drame des révolutions financières et politiques ;