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sainteté de la famille et du mariage est universellement reconnue ; ces vérités axiomatiques sont dans toutes les mémoires. Proclamer des principes suffit à la morale, mais la poésie exige davantage : ce n’est pas assez de donner de bons préceptes, il faut donner de bons vers, car à ce compte les lignes du décalogue, les quatrains de Pibrac et les doctes sentences du conseiller Matthieu seraient les plus admirables poésies du monde. La moralité de l’art ne consiste pas, on ne saurait trop le répéter, en sentences religieuses ou sociales, mais à élever l’homme par l’admiration du beau et l’attrait des jouissances intellectuelles les plus nobles et les plus pures de toutes. Une idylle de Théocrite où deux bergères se disputent une coupe de hêtre, une houlette a nœuds d’airain, remplit ce but tout aussi bien et mieux qu’une pièce farcie de sentences morales ou de préceptes philosophiques.

Nous ne blâmons pas l’intention de M. A. Barbier, elle est honnête et louable. D’ailleurs, tout sujet est bon. Seulement nous regrettons que, préoccupé de son idée, l’auteur des Chants civils et religieux se soit laissé aller à de telles négligences de forme et de style. Nous aurions en outre souhaité que ces hymnes ne fussent point écrits en alexandrins à rimes plates ou mêlées et en vers libres ; il serait impossible de les mettre en musique et de les réciter, et l’intention du poète a dû être qu’on les chantât aux moissons, aux vendanges, aux mariages, etc., etc. : les strophes lyriques auraient eu l’avantage de pouvoir s’adapter à la mélodie, et par leur forme nette et précise resserreraient et contiendraient l’inspiration trop vagabonde de l’écrivain. Le style de M. A. Barbier, autrefois nerveux, robuste et coloré à l’excès, est devenu incertain, languissant et pâle ; la périphrase abonde, l’épithète de remplissage accroche à toutes les hémistiches ses rameaux parasites, les rimes sont plus douteuses que de coutume, et la facture porte presque partout le cachet de la négligence, et de la précipitation ; l’inspiration réelle est absente, et l’on voit que l’auteur remplit un cadre tracé d’avance.

Cette suite d’hymnes sur le ton admiratif a quelque chose de fatigant. Nul poète, si longue que soit son haleine, ne pourrait donner de la variété à cette exclamation perpétuelle. Sans doute, il est bon de louer les belles choses, mais le dithyrambe est, de toutes les variétés de l’ode, la plus difficile à soutenir ; l’idée philosophique est d’ailleurs trop visible dans ces pièces si monotones de ton : c’est comme si, dès les premiers vers d’une fable, on en devinait le sens et la morale. Dans le chant adressé au poète se trouve la strophe suivante :

Oui, le poète est libre ; ô philosophes blêmes,
Ténébreux constructeurs de mondes incomplets,
Essayez de le prendre en vos étroits systèmes
Comme l’oiseau dans les filets !
Et pareil au sultan des plaines éternelles,
Pareil à l’aigle altier il étendra les ailes,
Et dans l’azur des cieux emportera vos rets.